Nous vivons dans une époque où il est de bon ton de tout aseptiser. Les publicités nous vantent les mérites de produits d’entretien de nos maisons et de nos corps capable d’éradiquer les micro-organismes avec une efficacité qui fait peur. Enfin moi, j’ai beaucoup plus peur de ces produits miracles qui promettent de tout désinfecter, à 99 % de notre environnement, que des microbes eux-mêmes.



Vous donneriez de l’eau de javel à boire à votre enfant ? Non ? Alors pourquoi désinfecter ses jouets à l’eau de javel ? Si, il y en a qui le font.

Que ce soit dans notre salle de bain, dans nos toilettes, dans notre cuisine, sur nos sols, dans notre lave-vaisselle ou sur notre peau sortant de la douche, on nous promet de faire table rase et de tout transformer en bloc opératoire : laisser zéro bactéries et zéro virus, si, si, je l’ai entendu (ça, entre parenthèses, c’est parfaitement idiot car les virus ne survivent pas en dehors d’un organisme, fin de la parenthèse).

Je sais bien sûr que les microbes, les bactéries  et autres bacilles, sont responsables d’épouvantables maladies et qu’il ne faut pas non plus se rouler dans la fange, mais comme en tout, il faut raison garder, et l’exagération est nuisible.

Ce qu’on ne nous dit jamais

C’est que chaque être humain porte sur et dans son corps des milliers de milliards de micro-organismes. Oui, vous aussi, même lorsque vous sortez de la douche dans laquelle vous vous êtes largement arrosés d’une solution moussante parfumée aux fleurs synthétiques. Ils sont partout : sur notre peau,sous nos ongles, dans nos cheveux, nos muqueuses, dans notre  nez, notre bouche, nos oreilles, notre vagin et surtout dans nos intestins. Rien que dans nos boyaux, on en compte cent mille milliards, de 400 espèces différentes (enfin quand je dis 400 espèces, c’est seulement ceux qui ont été répertoriés par la science et qui portent un nom de baptême) ! Ils représentent ce que les scientifiques appellent le microbiote. Autrefois, on les appelait la « microflore », c’était plus joli comme nom, mais surement moins scientifique. Ces micro-organismes sont environ dix fois plus nombreux que les cellules de notre corps, et chaque adulte en porte plus de 2 kilos ! Oui, vous avez bien lu, 2 kilos de votre poids sont constitués de microbes. Ça interpelle, non ?

Crédit photo Université Ludwig-Maximilian de Munich

Et surtout : sans eux nous ne serions pas en vie ! 

Ces bactéries qui nous habitent ont évidemment une action sur notre santé. Dire qu’elles collaborent activement avec notre système immunitaire, en empêchant les bactéries étrangères de venir nous coloniser est en dessous de la réalité. Elles SONT une grande partie de notre système immunitaire. Ce sont elles qui arrivent en première ligne quand une mauvaise bactérie ou un virus veut infecter notre organisme. Et c’est seulement si elles échouent que nos globules blancs et nos cellules du système immunitaire viennent au combat. Un déséquilibre dans le microbiote engendre des maux divers et variés, qui peuvent aller de problèmes de ballonements intestinaux jusqu’à des troubles psychiques comme des dépressions ou de l’autisme, en passant par les rhinites, les allergies et l’obésité, si, si. Il est donc très important de l’entretenir !

En résumé, les microbes défendent tout simplement leur territoire, et leur territoire, eh bien… hum… c’est nous.

Un enfant qui nait est immédiatement colonisé par le microbiote de sa mère, dès qu’il passe par le vagin. Les bactéries mettent ensuite quelques jours pour le coloniser complètement. Dans le lait maternel, certaines substances, des oligosaccharides, sont inassimilables par l’enfant. Les scientifiques se sont demandés pourquoi elles étaient-là, et à quoi servaient ces substances. Ils se sont rendus compte qu’elles étaient nutritives, non pas pour le bébé, mais pour les bactéries de son intestin qu’elles aidaient à se développer et à bien fonctionner.  (Or, les laits maternisés industriels ne reproduisent pas cet élément pourtant indispensable du lait maternel…)

Parmi ces 1 00 000 000 000 000 000 de microbes (j’en ai peut-être oublié un ou deux), contrairement à ce que vous pensez, seul un très petit nombre est pathogène. On nous parle toujours de méchants microbes, mais c’est comme dans la société : les délinquants sont en petit nombre par rapport à l’ensemble des individus, heureusement. S’il en arrive un méchant, les autres sont assez nombreux pour se défendre…  Couic, ils n’en font qu’une bouchée, et le méchant est zigouillé sans même que nous nous en apercevions.  À condition, bien sûr, que ces 1 00 000 000 000 000 000 qui sont chez nous comme chez eux, ne soient pas éradiqués par les bactéricides dont nous nous pulvérisons !

Ces microbes bienfaisant nous aident aussi à digérer notre nourriture, ils transforment des substances non assimilables en nutriments utiles pour nous, ils synthétisent des vitamines, et gardent la muqueuse intestinale en bon état car ils secrètent le mucus qui la recouvre. Pareil dans notre bouche, notre nez, la conjonctive de nos yeux, etc… Tiens par exemple, dans notre salive, nous avons (entre autres) des lactobacillus plantarum, ce sont les mêmes bactéries qui servent à fermenter la choucroute, le kimchi, les pickles.

Le microbiote de chaque individu est unique et différent de son voisin

Et il évolue au cours de la vie. Cependant des similitudes existent. On a remarqué une chose amusante par exemple : dans les familles où il y a un animal de compagnie, le microbiote cutané des membres de la famille, non seulement est plus varié, mais se ressemble plus d’un individu à l’autre que celui des familles sans animal. Votre chien, quand il vous lèche, vous fait partager son microbiote et celui des autres membres de votre famille. Il faut le comprendre comme un enrichissement et non pas comme une chose qui doit faire peur !

Les scientifiques ont remarqué aussi que le microbiote avait une biodiversité plus grande chez les gens vivant en zone rurale que chez les gens des villes. Et une diversité plus grande encore chez les gens vivant dans des pays non industrialisés. Pourquoi cela ? L’alimentation joue certainement un rôle : moins l’alimentation est industrielle et raffinée, plus le microbiote est varié et important. Les microbes n’aiment pas la junk food, ni les plats tout préparés, qu’on se le dise ! Mais d’autres facteurs jouent aussi : l’utilisation de produits bactéricides en grande quantité, les naissances par césarienne  qui se font toujours dans un milieu très aseptisé, le manque d’allaitement maternel, la consommation de médicaments et surtout les antibiotiques.

Imaginez une belle pelouse bien verte, avec des petites pâquerettes, des graminées variées, du trèfle, et une infinité d’autres petites plantes qui se portent bien. On passe un désherbant là-dessus. Ça devient une étendue de terre nue, un désert. On laisse passer du temps sans rien faire, des végétaux vont repousser, mais ça sera le style « terrain vague », très moche, avec des plantes comme des orties, des ronces et des chardons qui envahissent tout. Vous n’aurez plus vos petites pâquerettes et vos graminées qui faisaient l’équilibre de votre pelouse. Eh bien c’est pareil dans nos intestins quand on prend des antibiotiques, c’est le ravage complet, et ce qui repousse n’est pas forcément bon !

La pasteurisation, même si elle a servi à empêcher la survenue de maladies, n’a pas que des bons côtés.

Je sais que je vais en faire hurler beaucoup. Bien sûr, les hommes des siècles passés, et ceux d’aujourd’hui qui vivent dans des pays non industrialisés souffrent plus d’infections que nous. Mais en revanche, nous souffrons d’allergies, d’asthme, d’obésité, de diabète de type B, maladies complètement absentes de ces époques et de ces pays, de même que certains cancers. Bien sûr la science a éradiqué des maladies mortelles dues aux bactéries, mais elle n’a fait que remplacer une cause de mortalité par une autre. On ne meurt plus d’infection, mais on souffre d’allergies parfois très invalidantes (maladies complètement inconnues autrefois et dans les pays du tiers monde),  d’obésité et de diabète, on meurt d’infarctus et de cancer. Et justement les chercheurs ont mis en évidence le rôle du microbiote, ou plutôt de sa détérioration, dans ces maladies.


Celui-là, par exemple, c’est le clostridium difficile. Il est présent dans nos intestins sans aucun problème, et il est résistant aux antibiotiques. Alors ce qui se passe quand nous prenons des antibiotiques : les autres bactéries sont éliminées sauf lui. Et s’il prend le dessus, il devient méchant et nous cause des fièvres et des diarrhées.

En soignant notre microbiote, nous soignons donc notre santé.

Que faire ? Commencer par ne plus s’asperger de produits bactéricides : l’eau et le savon sont bien suffisants pour entretenir nos corps propres et sains, ainsi que notre linge et nos maisons. Ne prendre des antibiotiques qu’en cas d’extrême nécessité. Ne pas se laver systématiquement les mains après avoir caressé le chien. Laisser les enfants jouer dehors, les laisser côtoyer les animaux…

Il existe pourtant des « probiotiques » en gélules commercialisées par des laboratoires, qu’on prend après un traitement antibiotique. N’est-ce pas plus efficace ?  En bien non : ces « probiotiques » (nom poli pour dire « microbes » sans effrayer le client), contiennent souvent autre chose que ce qui est marqué sur l’étiquette, et les soi-disant bactéries sont inactives ou n’arrivent jamais jusque dans l’intestin. Bref ça ne sert à rien sauf engraisser le porte monnaie des labos pharmaceutiques.

Le moyen le plus agréable et sûr que nous avons pour aider nos cent mille milliards de bactéries bienfaisantes et chéries

C’est de consommer une alimentation la moins transformée possible, et surtout riche en aliments fermentés vivants qui nous apportent leurs propres bactéries : des fromages au lait cru, des vrais yaourts (et pas des actimachins), des légumes lacto-fermentés comme la choucroute, le kimchi ou les cornichons, de la bière non filtrée et non pasteurisée, du kéfir, de la sauce soja non pasteurisée, du nuoc mam idem, des harengs marinés, du jambon cru et du saucisson sec…

Source : Article de Michel Pollan dans le New York Times, clic, avec toutes les références scientifiques.