Koji est un mot japonais qui désigne le ferment servant à faire le saké, le shochu (eau-de-vie), le vinaigre, le miso, la sauce soja et le tamari (sauce pur soja), ainsi que d’autres aliments fermentés comme les légumes ou l’amazaké. Dans le cas du saké et du miso, le substrat est du riz. Pour la sauce soja et le tamari, le substrat est du soja. Pour le shochu, cela peut-être de la patate douce ou du millet. Ce ferment est obtenu en ensemençant du riz avec des spores d‘Aspergillus orizae.
Aspergillus Orizae est un champignon microscopique. Son nom de famille, Aspergillus lui a été donné par Pier Antonio Micheli, qui était un prêtre italien, savant, on dirait aujourd’hui biologiste, du XVIII° siècle. En l’observant au microscope, il a trouvé qu’il ressemblait à un goupillon d’eau bénite, un aspersoir, aspergillum en latin. Et l’épithète orizae veut dire «riz», tout simplement.
Le koji n’est pas l’Aspergillus lui-même. Il est obtenu après qu’on a ensemencé du riz cuit avec l’aspergillus qui y a développé son mycélium et commencé à dégrader l’amidon grâce à la takadiase, une enzyme amylase. Elle tient son nom de Jōkichi Takamine, un chimiste japonais qui le premier l’a extraite du koji, pour en faire des médicaments contre les problèmes digestifs.
L’aspergillus, que l’on peut acheter sous forme de spores en poudre impalpable dans les supermarchés japonais, s’appelle le koji kin.
Un ferment très ancien, d’origine chinoise
Ce type de ferment est aussi utilisé en Chine et en Corée pour faire les alcools de riz et les vins de céréales, avec quelques différentes toutefois. En Chine, le ferment est appelé «levure qū». Il existe depuis au moins le néolithique et a servi à faire les premiers alcools connus au monde. La jarre de Jiahu, retrouvée dans une tombe du VII° millénaire avant JC, contenait un «vin» à base de riz, de miel et de fruits. Cinq mille ans plus tard (soit 2000 avant JC), on retrouve des vins de céréales dans les vases en bronze des diverses civilisations qui ont peuplé la Chine. Millet, riz, orge, les céréales utilisées sont multiples.
Le qū est mentionné dans le Shangshu, un classique de la littérature chinoise qui est antérieur au V°siècle avant JC, au sujet de la fabrication de boisson alcoolique. Un site archéologique daté de 200 ans avant JC a révélé des bandes de bambou décrivant l’inventaire des objets déposés dans une tombe, parmi lesquels figurent deux sacs de qū. C’est comme si, chez nous, on enterrait les morts en plaçant des sachets de levure de boulangerie dans la tombe.
Mais la plus ancienne référence du qū tel qu’il est préparé aujourd’hui se trouve dans le Qimin Yaoshu, un manuscrit chinois du VI° siècle de notre ère, (contemporain de la fin du règne de Clovis donc, pour vous donner l’échelle de temps), qui explique comment préparer 9 grands types de ferment qū à base de blé, de millet et de riz. Ils se présentaient sous forme de gâteaux solides qu’on pouvait conserver très longtemps. Ces gâteaux étaient à base de céréales moulues et mouillées d’eau. Leur taille variait de quelques centimètres à celle d’une brique. Ils étaient mis à incuber dans une pièce close, et après quelques jours un feutrage les recouvrait. Ces ferments permettaient de réaliser 37 vins de céréales différents.
Dans ces briques de ferments, plusieurs variétés de micro-organismes sont à l’oeuvre : des moisissures Aspergillus, Rhizopus, Mucor, mais aussi les levures Saccharomyces et des bactéries. Les modalités de culture font aussi qu’il existe des variétés régionales de ce ferment, les différents micro-organismes ne se développant pas partout de la même façon, selon les conditions climatiques et autres.
Les historiens supposent que, au départ, ceci est arrivé par hasard, alors que des jarres contenant des réserves de céréales étaient entreposées dans des caves, sous de vieilles poutres en bois. Des spores sont tombés des poutres sur les céréales qui ont fermenté, et au fil du temps, cela a fini par donner cette levure qū.
Un ferment qui s’est transmis dans toute l’Asie de l’Est
En Corée on utilise aussi ce ferment sous forme de blocs solides. Il est appelé nuruk. Dans d’autres pays asiatiques, ces ferments se sont aussi transmis : much ou marcha en Inde et au Népal, banh men au Vietnam, pacing au Laos, loog pang en Thaïlande, mochi kouji au Myanmar, mae domba au Cambodge, ragi en Indonesie et Malaisie, et bubo aux Philippines.
En Corée, le ferment de la sauce soja est aussi sous forme solide et il s’appelle meju. Ce sont des tourteaux de soja qu’on laisse sécher puis moisir au contact de paille de riz. Les micro-organismes présents sont Aspergillus orizae, point commun avec notre koji, et Bacillus subtilis apporté par la paille. Enfin on les plonge dans de l’eau et cela fermente en jarres pendant des mois ou des années. Ce processus est différent de la sauce soja japonaise qui fait intervenir le koji directement.
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos levures qū.
Vin de céréale ou bière ?
Les chinois ont beaucoup utilisé ce ferment pour faire du vin de riz. Le vin de Shaoxing qu’on trouve dans les supermarchés asiatiques et qu’on met dans la cuisine en est un exemple parmi d’autres.
Mais pourquoi parle-t-on de vin puisque c’est fait avec des céréales. N’est-ce pas de la bière ? Techniquement, on distingue le vin de céréales de la bière de céréales justement par l’emploi de cette levure qū.
Une bière de céréales est une boisson réalisée en ensemençant une céréale saccharifiée (c’est à dire dont l’amidon est transformé en sucre par maltage ou mastication) avec une levure (Saccharomyces) qui fera la fermentation alcoolique. C’est le cas des bières de type européen, où on utilise généralement du malt d’orge ou d’autre céréale, (et où la mastication a été abandonnée depuis belle lurette). la fermentation peut être aussi spontanée par les levures de l’air, comme le lambic en Belgique.
Un vin de céréales est une boisson réalisée en ensemençant la céréale cuite à la vapeur (étuvée) par une moisissure qui opère la saccharification, c’est à dire la transformation de l’amidon en sucre. La fermentation alcoolique arrive ensuite grâce aux levures apportées par l’air. Les Chinois ont perfectionné la technique en apprenant à maîtriser cette fermentation, alors qu’ils ont complètement abandonné le maltage dans leurs préparations traditionnelles. (Je dis bien traditionnelles, car les Allemands sont allés au XIX° siècle fabriquer de la bière en Chine, dans la ville de Tsing-Tao, bière qui est toujours brassée aujourd’hui avec les méthodes européennes. C’est autre chose).
«Champignon national » du Japon
La méthode s’est transmise au Japon durant la période Kofun (250-538 après JC). Les Japonais ont ensuite développé une version tout-à-fait spécifique et originale de la moisissure : le koji blanc, ou koji japonais, qui est cultivé sur du riz blanc et est particulièrement efficace pour décomposer l’amidon, les protéines et les matières grasses. D’où son utilisation dans plusieurs domaines.
Le koji tel qu’on le connaît aujourd’hui a été finalement domestiqué par les Japonais à l’époque Muromachi, c’est à dire entre 1336 et 1573. Et c’est absolument génial : sans microscope, sans boîte de Petri, sans même connaître l’existence des micro-organismes, ils ont réussi à réaliser une culture pure à 99 % de la moisissure Aspergillus orizae. (Rappelons ici que c’est Robert Koch, à la fin du XIX° siècle qui est sensé avoir réalisé la première culture pure in vitro de micro-organismes… ) À la différence de la version chinoise du ferment qui n’était pas une culture pure, elle contenait plusieurs micro-organismes différents.
Un Aspergillus non toxique
Et le plus beau dans tout cela, c’est que cet Aspergillus-là ne produit pas de toxines, alors qu’il est dérivé d’un ancêtre Aspergillus flavus qui, lui, engendre des toxines hautement dangereuses pour les mammifères. Donc, ces «biologistes» de génie du XIV° siècle ont sélectionné, en reproduisant les mêmes gestes, avec rien d’autre que leur sens de l’observation, leur sensibilité, leur constance, une moisissure permettant d’élaborer des nourritures saines et pleines de saveur, à partir d’un micro-organisme potentiellement toxique et même mortel… L’étude génétique du koji qui a été publiée en 2005 a révélé que le gène qui produit la toxine existe encore chez A. orizae comme chez A. flavus, mais n’est pas actif.
Le koji a été certifié «champignon national» au Japon en 2006. Il fait partie intégrante de la culture japonaise tant il est largement utilisé dans l’alimentation.
La couleur jaune-verdâtre des spores du koji, a même été autrefois la couleur d’un habit que portait l’Empereur du Japon lors de certaines cérémonies. Ci-dessous une représentation de l’empereur Go-Nijō, (1285-1308) portant cette robe. Cette couleur est appelée kojijin, ou «poussière de koji». Elle faisait partie des 7 couleurs interdites. Aucune autre personne que l’empereur n’avait le droit de la porter.
Des bénéfices santé
Au japon le koji et ses dérivés comme l’amazaké, le miso, etc. sont très valorisés comme aliments de santé. Les bénéfices sont surtout pour l’immunité, et la bonne santé de l’intestin grâce aux probiotiques. Le koji a aussi un effet blanchissant, dont on s’est aperçu en observant les mains des ouvriers qui travaillaient à sa production. L’acide kojique qu’il contient empêche la formation de mélanine. Il est donc utilisé dans des cosmétiques pour lutter contre les taches cutanées, les taches de vieillesse, le masque de grossesse, etc…
Et en pratique ?
Le koji peut s’acheter tout fait dans les épiceries japonaises. Il est vendu sous forme déshydratée, qu’on réhydrate avant l’utilisation. On peut en faire du Shio koji, en le mélangeant avec du sel et de l’eau.
On l’achète aussi par correspondance sur internet, chez des producteurs artisanaux qui utilisent des produits bio et locaux, vous pouvez avoir toute confiance, cliquez sur les noms :
Kura de Bourgogne dans l’Yonne
Si cela vous tente de fabriquer votre propre koji, cela se fait sur 3 jours et demande d’avoir les spores d’Aspergillus, ferment, qu’on peut acheter chez Yoromiso. Il faut aussi être équipé d’une étuve, ou d’un dispositif qui puisse être maintenu à une température supérieure à 30 °C pendant 3 jours, même la nuit. (Et pour faire l’amazaké il faudra entre 50 et 60°C pendant 24 h).
Et avec le koji, acheté ou «maison», vous pourrez faire du shio koji avec lequel vous fermenterez des légumes, poissons ou viandes pour leur donner une saveur umami. Mais aussi de l’amazaké, une boisson douce et réconfortante (à venir sur le blog ou en ateliers, patience ). Et aussi votre propre miso en participant à notre prochain atelier en présence ou à celui en visio le 17 février.
Amis de la cuisine japonaise, à bientôt !
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Bonjour Marie-Claire
Je suis inscrite à votre cours du 24/02 en vidéo pourriez-vous me transmettre la liste des ingrédients à avoir et ou les acheter pour être opérationnelle le jour J
Un grand merci
Le cours du 24 février est en présence à Paris. C’est celui du 17 qui est en vidéo et nous avons envoyé ce matin le mail avec les ingrédients.
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nous sommes inscrites à l’atelier miso des deux Sèvres et nous avons hâte de pouvoir manipuler ces produits!
Au plaisir de vous voir !
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Correction : la Maison du Koji a déménagé à Billom!
Le livre Koji Alchemy de Rich Shih et Jeremy Umansky est une lecture fascinante aussi.
La maison du koji à Blanzat en Auvergne a malheureusement fermé.
Bravo, article interessant et bien documenté, les commentaires apportent des infos supplémentaires : ça fait du bien !
Bonjour excellent article très détaillé merci auriez vous des articles sur le champignon criniere de lion appelé aussi linge zhi et sur l eau dialectique merci pour votre reponse
Je n’ai pas ça en magasin 😉
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Merci Marie Claire pour ces informations toujours très enrichissantes.
Bonjour Marie Claire,
Il y a quelques jours je me demandais « si « et « quand « vous feriez un article et ou une recette sur ce produit…. Et …voici chose faite et bien illustrée et complète !
Merci chaleureusement à vous
Frane
Merci Marie-Claire pour ces informations toujours aussi passionnantes !! Merci pour vos recherches, et votre partage. Faire son propre miso, comme son levain, les bases d’une bonne santé, et d’une (re)connection à cette Nature extraordinaire qui nous nourrit, nous soigne et nous enchante pour peu qu’on la laisse vivre.
Bonsoir,
Une erreur surement involontaire, le koji meurt au delà de 40 °C. Il est préconisé d’étuver le riz inoculé entre 28 et 36 °C, selon que l’on veuille privilégier les enzymes pour l’amylase (saké, amazake, miso blanc…) ou la protéase (shoyu, misos de garde, shio koji…). Mais 30°C fonctionne très bien comme moyenne.
Et il faut compter deux jours à l’étuve, trois avec les préparatifs, effectivement.
Une autre bonne adresse, pour les spores, c’est en anglais, par contre. Ils sont situés en Autriche, sont très réactifs et très sympas :
https://www.fermentationculture.eu
Cédric, de Vendée
Ceci n’est pas une recette 😉
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C’est juste, mais 50°C, ça peut paraitre compliqué à atteindre.
Merci en tout cas pour tout votre travail autour des fermentations !
J’ai reformulé ma phrase qui prêtait en effet à confusion. Merci !
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Oui, ça pouvait, tout est clair maintenant !
Pour les Belges, il y a Nuu miso comme producteur artisanal : https://nuumiso.be/
Bonsoir,
Comme d’habitude, une saine lecture détaillée et pertinente avec pleins de bons conseils qui fait plaisir 🙂
Un grand merci pour ce nouvel article et pour l’éventuelle offre de la recette de l’amazaké sur votre blog.
J’achète le miso et le tamari shoyu chez la famille japonaise de Touraine.
De bons produits à quelques km de la maison (pas possible de faire plus simple).
Cordialement.
Depuis les années 1980 je fais notre miso à la maison. Au début avec du koji importé du Japon, depuis quelques années avec du koji fait maison. Quel plaisir d’avoir tous les jours de la soupe de miso fait avec notre miso fait maison.