Voici encore un restaurant extra-ordinaire. Si j’en parle ici, c’est qu’on y déguste des produits fermentés intelligemment et généreusement instillés parmi les plats, c’est  créatif et délicieux. Le nom littéraire, et bien choisi, du restaurant, est de plus attirant… Partons en Touraine sur les chemins de campagne.

Ce nom est tiré d’une pensée de Blaise Pascal qui nous montre la fragilité de l’être humain dans la nature : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien. »

Stéphane Enault, en cuisine et Laurène Attia, en salle ont créé ce restaurant atypique dans un petit village, à Cormery, en Indre et Loire, situé entre Loches et Tours. Ce qu’il y a de particulier, c’est qu’avant  d’être restaurateurs ils étaient tous les deux… avocats. Mais passionnés de cuisine et de bien-manger. Après avoir enlevé la robe d’avocat, ils se sont formés sur le tas, Stéphane a mis sa toque en cuisine dans des restaurants parisiens, et Laurène est devenue experte dans le domaine des plantes aromatiques et médicinale. Tous deux nous accueillent avec sourire et gentillesse. On déguste chez eux, entre autres, des légumes fermentés de toutes couleurs habilement cuisinés, du tempeh fait avec des haricots ou des pois chiches de producteurs locaux, on savoure des sauces au kombucha ou au kéfir, et on en boit aussi… Tout est appétissant, coloré et plein de saveurs.

La carte est courte et change souvent. Le repas que je vous présente a été dégusté en plein été. Le végétal occupe une grande place dans la construction des plats, mais tous les plats ne sont pas végétariens. Tout est évidemment fait maison, et avec des produits du terroir tourangeaux, est-il besoin de le préciser.

Une entrée où le fermenté est roi : Tacos de truite gravlax, légumes en pickles et lactofermentés, amandes, mayonnaise au piment d’Espelette et salsa verde. Le chef pousse l’amour du détail jusqu’à utiliser de la farine de maïs nixtamalisée** pour faire les tacos. Épatant !

Une autre entrée allie des carottes au shiso pourpre, une crème de carottes au kimchi, et un gel de carotte au carvi, tuiles de graines de tournesol. une déclinaison de carottes qui souligne leur goût, en différentes textures.

Mon plat principal, que j’ai choisi en voyant «tempeh de quinoa» sur l’intitulé. C’est rare un restaurant gastronomique qui propose du tempeh ! Il s’agit d’une fermentation de légumineuses, souvent du soja mais pas uniquement, originaire d’Indonésie.
Le plat se composait de tomates farcies végétales, tempeh de quinoa et petit épeautre, légumes rôtis et champignons dont des shiitakés lactofermentés. C’était très gourmand, plein de petits détails savoureux et je dois avouer que ça m’a réconciliée avec le quinoa que je n’apprécie pas beaucoup d’habitude.

Ci-dessus, un autre plat, une effilochée de canard sur un risotto de riz noir de Camargue aux fruits rouges, aubergine rôtie, purée de betterave et sauce à l’ail noir.

Nous n’avons pas pu résister à l’assiette de fromages de Touraine, confiture de cerises noires et gelée de thym. Et nous n’avons pas regretté.

Les desserts sont à la hauteur du reste. Estival : abricot rôti, émulsion et sablé au romarin, crème pâtissière à l’aspérule odorante, sorbet melon. La complexité de la saveur des herbes aromatiques chères à la dame du lieu, liées aux fruits.

Et mon dessert joliment fleuri : une crème brulée à la reine des prés et figues blanches avec un granité de kombucha. Là encore c’est le granité au kombucha qui m’a interpelée, et je dois  dire que cela fonctionne parfaitement. Avec un très bon kombucha, n’hésitez pas à le faire glacer en granité, c’est excellent ! La reine des prés a une saveur un peu vanillée.

Dans ce menu, le fermenté est présent par petites touches, il souligne, il fait valoir, il titille les papilles. Et sa présence est indispensable dans l’harmonie de l’ensemble. Les plats sont construits à partir des produits locaux et de la saison, avec intelligence et subtilité, avec le sens de l’équilibre final du plat. C’est réfléchi, pensé, comme le nom du restaurant, inspiré de Blaise Pascal, l’indique. Beaucoup de travail pour réaliser ce menu, aussi bien pour la réflexion que pour l’exécution : fort long et complexe d’exécuter toutes ces petites choses qui se complètent, textures, saveurs, infusions, fermentations…

Si vous passez par la Touraine, vous savez où aller pour très bien manger !

Les Roseaux Pensants

2 Place du Mail,
37 320 Cormery, France
+33 (0) 2 47 43 40 32
www.facebook.com/lesroseauxpensants
https://www.instagram.com/les_roseaux_pensants/

* La nixtamalisation est une fermentation enzymatique alcaline du maïs, pratiquée depuis l’ère précolombienne, qui améliore sa teneur en nutriments, notamment en acides aminés et en vitamine B3. La carence en cette vitamine occasionne la pellagre, une maladie qui a ravagé les populations européennes se nourrissant de maïs non fermenté, par exemple dans le nord de l’Italie jusqu’au début du XX° siècle.

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