Dans le billet précédent, je vous ai parlé de la méthode de panification pratiquée au XVIII° siècle, décrite par Antoine Parmentier dans un livre adressé à ce qu’on appelle aujourd’hui le « grand public ». Nous allons maintenant aborder l’aspect pratique des choses : faisons un pain selon cette méthode.

Pour vous allécher un peu, je vous montre tout de suite le résultat que l’on obtient avec la méthode.

C’est un pain blanc de base. Un pain bien levé, à la mie couleur crème, avec des alvéoles irrégulières, c’est le signe d’une bonne fermentation. Les pains industriels ont des petites alvéoles bien régulières. Un bon pain artisanal aura à la fois des grosses et des petites alvéoles, distribuées de façon aléatoire dans la pâte.

La croûte est épaisse, assurant la bonne conservation du pain, qui reste moelleux pendant plusieurs jours. Même entamé, il mettra au moins cinq à six jours avant de rassir, si vous prenez soin de l’envelopper dans un torchon. La mie est onctueuse, élastique. Ce pain est réalisé sans aucun ajout de levure, la fermentation est entièrement spontanée. En bouche, la croûte cède sous la dent puis la mie a une mâche longue et généreuse. Lorsqu’elle se mélange à la salive, la mie prend une saveur sucrée  douce, très légèrement acidulée mais pas le moins du monde acide.

Vous êtes suffisamment alléchés pour vous mettre au travail ? Alors je vous propose dans ce premier billet pratique de passer en revue le matériel qu’il vous faudra, et l’organisation de la journée. Ainsi vous serez parés pour commencer.

Pour cuire le pain il faut un four.

Au XVIII° siècle, on ne connaissait que le four à bois. C’est devenu plutôt rare aujourd’hui. Le four à bois est une construction maçonnée en forme de voûte, avec une sole en terre glaise, ou bien en carrelage réfractaire (ça veut dire que ça peut monter sans dommage à de très hautes températures). On chauffe le four en y faisant brûler du bois pendant plusieurs heures. Si c’est un grand four ça peut même prendre une journée entière. Ensuite, quand la température voulue est atteinte, on enlève le bois et la cendre et la cuisson peut commencer. La température intérieure du four peut monter jusqu’à 400°C et plus. Ce qui n’est pas le cas de nos fours modernes qui vont péniblement à 280.

La particularité des fours à bois c’est que la cuisson se fait à chaleur tombante : au départ, la sole et la voûte sont chauffées au maximum, le pain est donc saisi, sa croûte se forme, il gonflera très vite. La sole chauffée est très importante dans la cuisson : le pain est en contact direct avec la sole, il cuit de bas en haut, c’est comme ça qu’il gonfle bien. S’il était d’abord saisi par le haut, la croûte se solidifierait tout de suite et l’empêcherait de lever. Le boulanger introduit à ce moment un jet de vapeur pour aider la croûte à devenir brillante et dorée (grâce à la réaction de Maillard). Ensuite la chaleur redescend doucement. Le pain cuit en profondeur, sans brûler. Si vous oubliez la vapeur, la croûte sera mate, terne et grisâtre.

Vous allez me dire : mais je n’ai qu’un four électrique. Oui, c’est mon cas aussi. Mais si j’y arrive, vous y arriverez aussi !

J’ai installé dans mon four une pierre à pain, aussi appelée pierre à pizza. Ça se trouve dans le commerce, sur internet, les prix varient d’un site à l’autre (chercher « pierre à pain » dans google »).

Mais voici comment la fabriquer soi-même à peu de frais :

Se procurer une vieille lèchefrite qui fait la dimension de votre four. Acheter un petit sac de ciment réfractaire dans un magasin de bricolage. Préparer le ciment selon les indication de l’emballage et le couler dans la lèchefrite. On peut aussi y insérer un carreau de terre cuite réfractaire, ou quelques briques. On égalise bien la surface et on laisse sécher quelques jours. Ensuite, on fait chauffer progressivement cette plaque : on chauffe une fois, à 150, on laisse refroidir. On réchauffe à 180, on laisse refroidir, etc, petit à petit  jusqu’à arriver à 280, soit le four au maximum.

Voici aussi un lien vers des explications très détaillées pour faire une pierre à pain : Clic.


Voici le four équipé de sa pierre. Elle est placée sur la grille, sur le gradin le plus bas du four. La lèchefrite est posée juste en dessous sur son support situé sous la grille. On peut aussi la poser à même la sole s’il n’y a pas de support. La lèchefrite recueillera l’eau destinée au coup de vapeur.

Pour faire le pain, il faudra préchauffer la pierre qui va emmagasiner la chaleur et la restituer pendant la cuisson, comme le four du boulanger. On mettra la pierre dans le four, on préchauffera le four allumé au maximum pendant une heure. Au moment d’enfourner, on baissera le thermostat et le pain cuira dans la chaleur résiduelle de la pierre.

Si vous avez l’intention de faire du pain régulièrement, je ne peux que vous encourager à acheter une pierre ou à faire le bricolage que j’ai décrit. Vos pains seront merveilleusement montés, avec une belle croûte. La différence est très sensible, vos pains ne seront plus pareils du jour au lendemain. En enfournant le pain sur une simple plaque de métal, on n’a pas du tout cet effet de « saisissement » de la croûte, le pain gonfle moins, les fentes sont moins ouvertes, la mie moins alvéolée, enfin bref, il est beaucoup moins beau et moins bon.

Il vous faudra aussi une pelle en bois pour enfourner.

Une simple planche en contreplaqué fera très bien l’affaire. La planche doit être de quelques centimètres inférieure à la dimension de la pierre, afin de bien pouvoir la manipuler. Certaines pierres sont vendues avec la pelle qui va avec.

On cherche une bonne farine.

Utilisez une farine de blé T 65 à T 80, soit achetée chez un minotier, ou bien dans un magasin bio, ils ont souvent de bonnes farines artisanales. Les farines industrielles des grandes surfaces ne conviennent pas du tout. Je ne garantis pas le résultat avec ces farines-là. Certains boulangers vendent aussi de la farine, pensez-y !

Maintenant on s’occupe du levain.

Vous vous rappelez ce que Parmentier disait à propos du levain ? C’est lui l’élément primordial. Il doit être bien actif, bien levé, plein de bulles, sa surface bosselée, et son odeur vineuse, c’est à dire une odeur de vinaigre, de vin, de yaourt ou de choucroute (j’ai remarqué que les levains ne sentent pas tous pareil).

Donc, si le levain n’est pas en forme, le meilleur moyen de le ranimer est de le rafraîchir avec un peu d’eau et de farine. Ne commencez jamais une fournée si vous constatez que le levain n’est pas à son top, c’est à dire comme je l’ai décrit plus haut. Ce sera immanquablement voué à l’échec.

Si on fait du pain tous les jours, le levain, qui est par cela rafraîchi régulièrement, sera dans la forme qu’il faut. Dans le cas où on ne fait pas du pain tous les jours, il faudra s’occuper du levain dès la veille pour le réactiver. Si votre levain n’a pas été rafraîchi depuis 48 heures ou plus, donnez-lui un rafraîchi supplémentaire la veille au matin. Ainsi il sera d’attaque pour commencer.

Je rappelle le principe du rafraîchi : on donne au levain la même quantité de farine qu’il y en a déjà à l’intérieur. Par exemple un levain de 160 g à 60 % d’hydratation comporte 100 g de farine et 60 g d’eau. On le rafraîchira avec les mêmes quantités.

On prévoira aussi un endroit chaud où laisser la pâte lever.

Le levain a besoin d’une température optimale de 25 à 30 °C pour lever dans de bonnes conditions. Hé oui, ça a été inventé dans les pays chauds. En hiver on le pose sur un radiateur. Mais quand le chauffage est éteint, c’est parfois difficile d’avoir cette température. Quelques trucs s’il fait trop frais dans votre cuisine :

  • Mettre la pâte dans le four éteint mais avec seulement la lumière allumée.
  • Mettre la pâte dans le four éteint en compagnie d’une bouteille remplie d’eau chaude qu’on renouvelle de temps en temps.
    Utiliser une glacière isotherme dans laquelle à la place des glaçons on mettra une bouteille d’eau chaude.
  • Bricoler une caisse en carton (ou une glacière isotherme) dans laquelle vous introduisez une lampe munie d’une ampoule de 15 W  (pas plus forte, l’ampoule, prenez par exemple une ampoule de rechange pour celle du four).
  • Certaines personnes le mettent aussi sur le ballon d’eau chaude.
  • Investir dans une étuve (clic).

Maintenant que nous avons un levain actif, voilà comment nous allons nous organiser.

Prévoyez une journée où vous êtes disponibles, disons entre 8 heures du matin et 17 h 30. (Mais ça peut être aussi entre 13 h et  22 h 30). Je vous rassure, vous n’aurez pas à rester tout le temps devant votre pétrin, il faudra seulement être là absolument à quelques moments clés : Mettez un réveil, une alarme sur votre téléphone, ou votre ordinateur, et vous n’oublierez pas. On n’est même pas obligé de se lever aux aurores, elle est pas belle la vie ? Évidemment vous pouvez décaler cet horaire en fonction de votre emploi du temps, si vous laissez toujours les mêmes intervalles entre chaque opération.

La veille au soir : 1 minute pour rafraîchir le levain.
Le jour même à 8 heures : 1 minute pour rafraîchir le levain
4 heures plus tard, à 12 heures : prévoir 20 minutes pour le pétrissage
3 heures plus tard, à 15 heures : prévoir 10 minutes.
1 heure plus tard, on enfourne, il est 16 heures
1 heure plus tard : fin de la cuisson, il est aux alentours de 17 heures.

La suite est ici, clic: on prépare le levain.