Le blog des aliments fermentés

Comment faire du garum

Cette recette est le résultat d’une collaboration avec Ludovic Dumont, le chef talentueux du restaurant l’Ouvrière à Availle-en-Chatellerault dans la Vienne, que j’ai formé à la fermentation. Pour me remercier, il a mis des poissons au sel, et me les a donnés, c’est un beau cadeau, non ?  Je les ai oubliés sur une étagère pendant… Quatre ans (si, si, je suis parfois oublieuse, mais il s’est passé beaucoup de choses depuis quatre ans, suivez mon regard), et enfin m’en ressouvenant, je les ai égouttés pour obtenir la précieuse sauce. 

Et c’est une merveille. Une couleur ambrée et limpide. Une saveur ample, profonde, qui va relever bien des sauces et des plats…

Le garum  est une sauce de poissons fermentés qui redevient à la mode chez les chefs cuisiniers. Son origine se perd d’ailleurs dans la nuit des temps. Ces sauces ont été répandues durant l’Antiquité dans toutes les régions limitrophes de la Méditerranée, d’Est en Ouest, jusqu’en dans la péninsule ibérique et dans les Gaules du Sud, et aussi en Afrique du Nord. On constate également qu’elles sont encore très répandues dans le Sud-est asiatique, alors qu’elles ont disparu, ou sont confidentielles à présent en Europe (il en existe encore des survivances ça et là, la colatura en Italie, le pissalat à Nice…)

La trace la plus ancienne qu’on en en ait, c’est chez les Sumériens qui les fabriquaient déjà au 3° millénaire avant JC. Mais on ne sait pas d’où sont originaires les Sumériens ni s’ils ont inventé la recette… Les sauces sont ensuite arrivées en Égypte, puis se sont diffusées en Grèce, à Rome et dans toutes les colonies de l’empire. Les Arabes en fabriquaient aussi et les ont diffusées dans leur propre empire. Il existait dès le Paléolithique des échanges entre l’Asie et le Moyen-Orient, par la route qui fut appelée plus tard « Route de la Soie ». On ne sait pas dans quel sens eurent lieu les influences, mais on peut être sûr que les recettes circulaient déjà depuis la Chine jusqu’en Europe ! Ces condiments étaient très prisés, certains originaires de « grands crus » valaient le prix de l’or, comme le caviar aujourd’hui.

C’était l’assaisonnement incontournable de la cuisine des Grecs et Romains de l’Antiquité. Peut-être en avez-vous déjà consommé : si vous avez mangé des plats vietnamiens, il y a de fortes chances qu’ils aient été  assaisonnés avec du nuoc mam, ou du nam pla pour les plats thaïlandais. Le Sud-Est asiatique connaît aujourd’hui beaucoup de sauces de poissons différentes, de la plus liquide jusqu’à la plus pâteuse. Leur fabrication  est absolument identique à celle du garum, qui connaissait aussi une version solide appelée le Halex.

À l’époque antique, sa fabrication était quasiment industrielle sur tout le pourtour de la Méditerranée. Le mot latin garum vient du grec garos, petit poisson.  Les anciens sumériens nommaient cette sauce Siqqu, elle est inscrite dans les tablettes de Yale datées de 5 000 ans avant le présent et pouvait aussi être à base de sauterelles. Mais pas de sauterelles pour nous aujourd’hui, nous allons faire du garum comme il se doit, avec des poissons.

Une recette de garum figure dans mon livre « Pourri », elle est un peu différente. Celle-ci est plus simple.

Ce garum a été fait avec des maquereaux.

Mais on peut aussi utiliser des anchois. Choisissez des maquereaux de petite taille, appelés « lisettes » si vous en trouvez. Sinon, des maquereaux ordinaires feront l’affaire.

Que ce soient des anchois ou des maquereaux, il est impératif d’avoir des poissons extra frais, brillants avec l’œil bombé. Ne videz pas les poissons. Les bactéries lactiques qui feront la fermentation sont dans le microbiote des poissons. Laissez-les entiers, sauf s’ils sont très gros. Alors coupez-les en tronçons. Rincez-les, mais sans insister.

Admirez-les au passage, parce qu’un maquereau c’est une beauté absolue, et nous allons les rendre éternels.

Les ingrédients sont simples, pour un bocal de 1,5 litre :

  • 1 ,2 kg d’anchois ou de petits maquereaux frais
  • 300 g de gros sel gris de mer (soit 250 g de sel par kilo de poisson)

Mettez les poissons dans une grande bassine, ajoutez le sel (sauf quelques cuillerées) et mélangez le tout à la main. Laissez reposer 30 min environ.

Au fond d’un grand bocal à joint de caoutchouc, faites une couche de 5 mm de sel. Remplissez ensuite avec les poissons et le sel. N’oubliez pas le jus que les poissons ont rendu. Terminez par une couche de sel. Tassez bien entre chaque couche, et aussi à la fin. Il ne doit pas y avoir de vide entre les poissons.  Le bocal doit être rempli jusqu’à environ 3 cm du bord.

Après quelques jours, les poissons vont commencer à rendre leur eau. Un jus rougeâtre peut apparaître.  Ne vous en inquiétez pas. Posez votre bocal sur une étagère dans votre cuisine.

Laissez macérer au minimum 1  an à température ambiante. Vous n’êtes pas obligé d’attendre 4 ans. Mais si vous le faites, vous serez récompensés…

Après au minimum 6 mois, ouvrez le bocal.

Attendez 10 secondes avant de mettre le nez dessus. Cela doit sentir bon. Ne vous attendez pas à quelque chose d’épouvantable. Si c’est épouvantable, c’est que c’est raté, la fermentation n’a pas eu lieu.  Évidemment cela va sentir fort. Mais ça ne doit pas être désagréable. Chez moi, ça sentait très bon, une odeur comme des rillettes de sardine…

Avec une grande spatule propre, écrasez les poissons dans le bocal, ils s’écrasent facilement. Profitez-en pour les mélangez dans leur jus, toujours avec la spatule. Et refermez votre bocal, puis replacez-le sur son étagère à température ambiante. Oui, 6 mois, c’est trop tôt ! On attend 6 mois de plus.

Tic tac. Tic tac.

Un an (ou plus) a passé depuis le début.

Préparez une passoire, au-dessus d’un récipient pour recueillir le jus. Tapissez la passoire avec 2 toiles à fromage superposées. Versez le contenu du bocal, qui s’est transformé en purée. Laissez égoutter surtout sans presser, pendant 24 heures.

Après 24 heures, le niveau de la purée a baissé, elle s’est épaissie et les arêtes  apparaissent. On n’a jamais pressé.

Et dans le récipient, le liquide est clair et limpide, pas besoin de refiltrer.

Vous devez obtenir un peu plus d’un demi-litre de jus. Conservez-le dans une bouteille fermée. Il assaisonnera vos sauces, bouillon, soupes, vinaigrettes…

Le garum se conserve indéfiniment.

Ce  qui reste dans la passoire est l’Halex. Si vous voulez le récupérer, il faudra séparer les arêtes  de la chair. Vous obtiendrez du pissalat, pour faire la pissaladière. Ludovic Dumont préconise de le passer au chinois (au lieu des toiles à fromage) avant filtration, une partie du solide passe au travers avec le liquide, mais pas les arêtes. Le mettre au congélateur 1 nuit et laisser décongeler au frais sur des mousselines comme sur la photo. À la décongélation la filtration s’effectue toute seule et vous récupérez le halex dans le tissu. Mélanger à une fondue d’oignons et étaler sur une pâte feuilletée. Vous aurez un excellent goût de pissaladière.

Le halex se conserve aussi indéfiniment, dans un pot bien fermé.

 

 


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39 commentaires sur “Comment faire du garum”

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