Depuis des siècles on fabrique le salers de la même façon. Aussitôt la traite du matin ou du soir finie, le lait encore tiède de la chaleur de la vache est versé dans la gerle. Tout de suite il est emprésuré et sous le couvercle remis, dans l’ombre il travaille.


Voilà la gerle, elle est en châtaignier. Celle-ci est dans la fromagerie de Monsieur Baduel à Fontanges.

Le bois donne une saveur particulière au lait.
Comme au vin, d’ailleurs. Le bois retient des micro-organismes qui ensemencent le lait. Sans eux, on aurait un fromage insipide. Le salers est un fromage au lait cru fabriqué dans du bois. Pour cela, il a dû obtenir une dérogation. (Oui. Les auvergnats étaient il y a dix ans en voie de disparition à cause du risque mortel que représentent le lait cru et le bois, vous ne le saviez pas ? Eux non plus.)

En 2004, des analyses bactériologiques effectuées au tout début du processus de fabrication du fromage inquiètent les autorités sanitaires. 
Ciel, des bactéries ! Et  pire : des bactéries sauvages ! Ça ne fait ni une ni deux : selon le fameux principe de précaution, la dérogation est retirée. Le verdict tombe : les fromagers  atterrés doivent désormais utiliser des cuves en inox. Le problème c’est que dans l’inox, il n’y a aucune flore bactérienne indigène. Sans flore bactérienne, le caillé ne se transforme pas en fromage. Il a donc fallu ensemencer le fromage avec des cultures de ferments élaborées en laboratoires. Qui dit culture, dit stéréotype. Et les fromages devinrent tous pareils. Aussi uniformes que les camemberts Président, et le coca-cola d’une bouteille à l’autre. Fini les saveurs complexes d’herbe ou de réglisse, d’étable, de bois, d’épices, de foin, d’animal ou de noisette.

Mais c’était pour notre bien. C’était le progrès.

Les producteurs se rebellèrent.
C’était devenu le salers de la peur, qu’on me pardonne ce jeu de mot facile…
Dans la gerle de châtaignier, les bactéries indigènes assurent l’ensemencement du lait et point n’est besoin de rajouter de cultures de ferments venues d’on ne sait quelle éprouvette. C’est cette flore autochtone qui assure la spécificité du fromage. Ils demandèrent des contrôles complémentaires, d’autres preuves.

En 2005, d’autres analyses montrèrent que le fromage terminé n’apportait aucun danger à la consommation. Hé oui, huit millénaires de consommation régulière de fromages au lait cru faits dans des récipients en bois ou même en peaux de bêtes, sans un seul cas de maladie ne sont pas une preuve suffisante d’innocuité, semble-t-il. Mais bon, l’important est que la gerle était sauvée.

Et de plus les chercheurs de l’INRA d’Aurillac ont entre temps établi que la diversité des bactéries présentes dans le fromage au lait cru empêchent les bactéries pathogènes comme la listéria et ses copines de survenir, et que ce sont en fait les fromages au lait pasteusisé qui présentent le plus de risques d’être contaminés. On ne l’entend jamais dire bien fort, alors je le répète ici.

On l’a encore une fois échappé belle.

Monsieur Baduel vient de mettre la présure dans le lait. Il peut reposer le couvercle sur la gerle et retirer son tablier. Une heure plus tard le lait aura quitté sa condition liquide, et le travail des bactéries aura opéré pour ensemencer le fromage et lui donner saveurs et arômes…

Sebastien et Cathy Baduel
Clédart
15140 FONTANGES

Si vous passez par le Cantal, allez goûter ce fromage, chez ce producteur ou d’autres aussi bons, dont vous trouverez les adresses en cliquant ICI.

Et en plus, comme ils élèvent à la ferme des cochons nourris au petit lait issu de la fabrications du fromage, ils vendent aussi des charcuteries… Je ne vous raconte pas les saucissons bien maturés… Un rêve. Allez donc les goûter aussi car hélas ce sont des choses qui risquent de disparaître si on n’y prend pas garde.