On trouve aujourd’hui des livres pour faire son pain à la maison, que ce soit dans une machine ou à la main. Mais le premier livre de vulgarisation de la boulangerie, à destination des non professionnels, est sans aucun doute celui de Parmentier, publié en 1777.

Oui,il s’agit bien d’Antoine Parmentier, celui de la pomme de terre. Cet illustre pharmacien, agronome et hygiéniste, qui voulait éradiquer la famine, s’est aussi beaucoup intéressé à la panification, fondant même une école de boulangerie.

A l’époque, on faisait le pain principalement au levain.

Le pain à la levure, dit « pain à la reine », venu des pays germaniques où la levure de bière était commune, commençait juste à percer dans les villes, c’était un pain de luxe dont la mode fut importée après le mariage de Louis XV avec Marie Leckzinska, et il était très controversé. Parmentier lui-même ne le recommande pas, avec les mêmes arguments qu’on utilise aujourd’hui : il ne se conserve pas et rassit très vite. Il utilise aussi l’argument santé : le pain au levain est  meilleur pour la santé que celui à la levure, qui s’est avéré parfaitement exact après les analyses scientifiques modernes.

Autrefois les s s’écrivaient avec un caractère ressemblant au f. A part cela, ça se lit très facilement.

C’est donc la fabrication du pain au levain qu’explique Parmentier dans ce livre. Il s’adresse non pas aux boulangers professionnels, mais à ce qu’il appelle « les bonnes ménagères », c’est à dire les maîtresses de maison, qui devaient faire leur pain chez elle. Si les boulangeries étaient communes dans les villes, il en était autrement à la campagne, et dans beaucoup de maisons, de fermes, on faisait soi même le pain. Soit on avait un four à sa disposition chez soi, ce qui était rare, ou bien on allait cuire ses pâtons au four banal, moyennant une redevance.

Le livre explique donc très simplement les procédés,

D’une manière très claire, et s’il est très facile de mettre en œuvre les recommandations de l’auteur dans une cuisine d’il y a deux siècles, ça l’est a fortiori dans une cuisine moderne : pas besoin d’équipements spéciaux ! Bien sûr on n’aura pas le four à bois, mais une gazinière ou un four électrique conviendra parfaitement. C’est ce qui frappe en lisant le livre : ça a l’air terriblement facile ! Du coup, on est décomplexé, on n’a plus aucune crainte de se lancer, et… alors on y arrive. C’est ce qui a dû se passer pour les lecteurs de l’époque. A la fin du livre il y a tout un chapitre de lettres que les lecteurs ont adressées à Monsieur Parmentier pour le remercier de sa méthode qui leur a permis de faire un pain plus blanc, plus léger et plus volumineux.

En général, on achetait le blé en grains, et on allait le porter au meunier pour le faire moudre.

Souvent, c’était la servante de la maison qui apportait le blé à moudre. Elle recevait pour son salaire le son de la mouture : la farine pour la maîtresse, le son pour la domestique. Il y avait d’ailleurs des fraudes, certains meuniers, en accord avec les domestiques, blutaient mal la farine. C’est à dire qu’ils laissaient beaucoup de farine dans le son. Parmentier parle des précautions à prendre avant d’envoyer le blé au moulin, sur le fait qu’il faut s’assurer de l’honnêteté du meunier qui peut rendre un poids de farine inférieur à ce qu’il devrait être par rapport à la quantité de blé. (Les meuniers avaient très mauvaise réputation à l’époque, accusés de toutes les fraudes imaginables).

Je vais passer rapidement sur les chapitres où il explique qu’il faut conserver le blé dans un grenier à l’abri des déjections d’animaux, des insectes et des souris; la farine dans des sacs plutôt qu’en vrac sur le plancher, et qu’il vaut mieux ne pas utiliser si elle a une odeur aigre. Et aussi sur le fait qu’il faut panifier avec de l’eau potable. Je suppose que cela ne vous viendrait pas à l’idée d’utiliser de l’eau croupie. Mais attention : l’eau javellisée ne convient pas non plus !

Mais là où nous allons commencer à apprendre

C’est sur la panification en elle-même, et surtout sur le levain qui a une très grande importance dans la qualité du pain. Là où j’ai été fort surprise, c’est lorsque je me suis aperçue en un raccourci inouï, que je faisais le pain au levain à très peu de détails près, d’une manière identique à celle que préconisait Parmentier. Mais là où je me posais des questions sur les proportions, les mesures, les temps, les températures, j’ai compris qu’en fait, il fallait juste saisir le principe, et ensuite, on peut tout faire, on sent les choses et ça devient même facile.

La température de l’eau

Parmentier revient sur des idées reçues communes à son époque. On pensait qu’il fallait employer de l’eau très chaude, presque bouillante. Évidemment les gens obtenaient un pain mal levé, sec et compact. L’eau trop chaude avait tué le levain. Parmentier explique que l’eau doit être fraîche en été, et tiède en hiver. C’est du bon sens absolu.

Le sel

A l’époque de Parmentier, on faisait le pain sans sel. Le sel était d’ailleurs une denrée chère, il y avait une taxe sur son achat, qui s’appelait la gabelle. Parmentier explique qu’à la rigueur le sel est bénéfique dans les provinces du nord plus froides et humides, où les blés donnent des pâtes sans corps, mais que dans les autres régions, il est parfaitement inutile. Si on tient à en mettre quand même, la dose doit être modérée pour ne pas gâcher le bon goût du pain, dit-il. Elle serait d’une livre par quintal de farine, soit 10 grammes au kilo (ce qui est la moitié de ce que les boulangers mettent actuellement dans le pain !) Ce que dit Parmentier rejoint complètement les recommandation modernes sur la quantité de sel à ingurgiter quotidiennement.

Il est d’ailleurs beaucoup plus facile de diminuer la dose de sel dans un pain au levain que dans un pain à la levure

Car le pain au levain a naturellement beaucoup plus de goût que celui à la levure.  La fermentation au levain apporte une saveur légèrement acidulée qui compense parfaitement le manque de goût salé. On a moins besoin de saler la pâte. Jusqu’à présent je salais mes pâtes à raison de 15 grammes de sel au kilo de farine, ce qui est plus que ce que dit Parmentier, mais moins que le pain du boulanger. C’est un bon compromis, la diététique, la panification (le sel jour un rôle dans l’oxygénation de la pâte, donne  une mie plus blanche, une croûte plus dorée, une pâte plus ferme, et retarde le rassissement du pain) et notre goût du salé y trouveront leur compte.

Comme on ne salait pas la pâte, on pouvait récupérer une portion de la pétrissée pour faire le levain de la suivante. On ne peut plus le faire aujourd’hui à cause du sel, car le levain est beaucoup moins actif s’il contient du sel. Nous devons donc cultiver notre levain à part pour qu’il soit au mieux de sa forme.

Le levain

A l’époque de Parmentier, on ignorait totalement les mécanismes de la fermentation du levain, et encore moins le rôle des micro-organismes dans ce processus. C’est à peu près 80 ans plus tard que Pasteur les mit en évidence. Et pourtant ça n’a empêché personne de faire du pain depuis cinq mille ans. On savait juste que le levain état la chose primordiale.

Parmentier n’explique pas comment on fait naître un levain :

À l’époque on n’en créait pas, on allait le chercher chez le boulanger, tout simplement, puis on le cultivait d’une fournée à l’autre. Le boulanger, lui, avait le sien qu’il gardait précieusement après chaque pétrissée, et qui lui venait du fond des âges… Certains levains étaient donc très âgés et par cela très actifs ! En fait, on raclait simplement ce qui restait au fond du pétrin après la pétrissée, on y rajoutait de l’eau et de la farine pour faire une petite pâte, et le levain mûrissait tranquillement pour la fournée suivante.

Les Egyptiens pratiquaient déjà ainsi dans la préhistoire. On ne faisait pas le pain tous les jours (je parle du pain fait à la maison, pas celui des boulangers), car il fallait une demi journée pour faire chauffer le four à bois. C’était onéreux et ça demandait beaucoup de travail. Donc, si vous non plus vous ne faites pas le pain tous les jours, cette méthode vous conviendra parfaitement.

Parmentier détaille les processus de rafraîchi du levain

Qui sont les mêmes que ceux que l’on pratique aujourd’hui. Il faut utiliser un tiers de la quantité de farine utilisée pour faire la pâte à pain dans le rafraîchi du levain. Ce n’est pas compliqué comme calcul ! On en fait une boule un peu ferme qu’on enferme dans la farine.

Même avant d’avoir lu Parmentier, j’utilisais aussi un levain épais, hydraté aux deux tiers. C’est uniquement par paresse que j’avais adopté ce système, qui ne nécessite aucun calcul : on peu ajouter la quantité de levain qu’on veut à n’importe quelle recette de pâte à pain, même trouvée dans un livre de pain à la levure. Il suffit d’inclure le levain, à raison de 30 à 50 % du poids de la farine indiqué dans la recette. Aucun risque de se tromper. Évidemment si la recette comporte de la levure, il faut oublier celle-ci.

Les levains modernes (type Kayser, ou Granier) sont liquides, composés de la même quantité d’eau et de farine.

Il faut donc faire un calcul pour adapter la quantité d’eau de la pâte à pain à celle du levain. (Si on rajoute le levain liquide sans diminuer l’eau de la pâte, l’ensemble sera trop hydraté, vous me suivez ?). Le levain d’autrefois avait la même consistance que la pâte à pain. C’était tout simplement un morceau de la pâte qu’on gardait jusqu’à la pétrissée suivante, non pas dans un bocal, mais dans une corbeille, recouvert de farine. On le gardait à température ambiante. On n’avait pas de réfrigérateurs au XVIII° siècle. Au mieux une cave fraîche. Ceux qui prétendent que la réussite du levain passe obligatoirement par son stockage au frigo ont tort. On le gardait dans une pièce chauffée en hiver, et dans la pièce la plus fraîche de la maison en été, en le tenant un peu plus ferme.

Une autre idée reçue de l’époque voulait que le meilleur levain soit vieux et aigre. On croyait qu’il était plus actif quand il sentait fort. Voilà ce qu’en pense Parmentier.

 

Un bon levain doit donc être rafraîchi plusieurs fois avant son utilisation dans la pâte.

Le boulanger soigne son levain en le rafraîchissant plusieurs fois par jour. Parmentier préconise, la veille du jour où l’on prévoit la pétrissée, de renouveler son levain en lui ajoutant plusieurs fois de la farine et de l’eau tiède. « Vieilles remouillures et jeunes levains donnent de bons pains« . Savez vous que le proverbe est toujours en usage chez les boulangers ? La remouillure, c’est le levain qu’on « remouille » à chaque fois pour le rafraichir.  Aujourd’hui on l’appelle « levain chef ». Plus il est issu d’une souche ancienne, meilleur il est pour la panification car il se crée en lui tout un écosystème de bactéries qui deviennent de plus en plus efficaces. Il doit être rafraîchi avant la pétrissée, pour faire un jeune levain.


Autrement dit, plus on rafraîchit, meilleur sera le levain. On rafraîchira la veille au soir en faisant une pâte ferme, et encore une fois le lendemain matin au réveil, en tenant la pâte un peu plus molle. Cette manière de faire permet de pétrir en fin de matinée, ou en début d’après midi, selon l’heure à laquelle on se lève ; et de faire la cuisson en fin d’après midi : on a le pain tout frais pour le dîner.

A quel moment  de son cycle faudra-t-il utiliser le levain ?

Parmentier précise que le moment optimum est après sa levée maximale, juste avant qu’il ne redescende. Selon la température ambiante, c’est trois ou quatre heures après le rafraîchi.

Le levain doit être bouffant — c’est à dire bien gonflé —, crénelé —la surface doit être bosselée —, d’odeur vineuse — c’est l’odeur de la fermentation qui rappelle celle du vin, ou du vinaigre. S’il n’est pas ainsi : un rafraîchi lui redonnera sa vigueur.

De quantités exactes, Parmentier n’en donne aucune.

Les gens étaient censés connaître les proportions d’eau et de farine d’une pâte à pain. C’était selon la consistance de la pâte qu’on voulait obtenir. On pétrissait à la main, et la main ressentait la pâte, si elle paraissait trop épaisse, on rajoutait de l’eau ; si elle semblait liquide, on ajustait avec de la farine. A la main, on sent très bien si la pâte se « tient » ou si elle est molle et coulante. On sent sa prise de force au cours du pétrissage, son élasticité grandissante. Aujourd’hui on pétrit au robot, on a donc besoin de quantités exactes.

Parmentier décrit le pétrin, qui était une auge en bois, et donne des conseils sur le pétrissage. Il parle aussi du four, de son préchauffage. Les fours à bois mettent longtemps pour arriver à la bonne température. Il faut donc commencer à faire le feu en même temps qu’on commence l’apprêt du pain en banneton. On n’a pas ce problème-là avec nos fours modernes.

Vous pouvez télécharger le livre de Parmentier sur le site de Gallica, c’est ICI.

Dans le prochain billet, je vous expliquerai la fabrication d’un pain pas à pas pour illustrer cette méthode et l’adapter aux conditions de notre époque. Je vous expliquerai aussi comment transformer son four pour avoir (presque) les conditions d’un vrai four de boulanger.

D’ici là, bichonnez votre levain ! Si vous n’en avez pas encore, vous avez le temps d’en faire un, allez cliquer ICI.

La suite de ce billet est à lire ICI (clic).