Un nouveau livre est paru récemment : « Fermentations, Kéfir, compost et bactéries : pourquoi le moisi nous fascine », d’Anne-Sophie Moreau, qui a participé à deux de mes ateliers il y a quelques années.
Ce livre suscite beaucoup de débats dans le milieu des fermenteurs français. Malgré son titre, il ne s’agit pas d’un livre qui traite de la fermentation en tant que telle. Il aborde aussi d’autres sujets : le compostage, l’urbanisation, l’humusation (pratique funéraire qui consiste à transformer les corps des défunts en humus), le blob, etc. … Ce livre traite de l’engouement récent pour les micro-organismes, ce qui se traduit selon l’autrice par le renouveau des pratiques de fermentation, compostage etc., dans les pays industrialisés.
C’est une étude philosophique qui essaie de comprendre pourquoi, dans notre monde occidental moderne, il existe un regain d’intérêt pour les micro-organismes, et ce que ça dit sur notre société actuelle de pays développés. Ce livre concerne uniquement les pays développés, je dirais même que c’est une vision mal informée, qui ne prend pas en compte tous les pays développés et industrialisés, comme le Japon, la Corée du Sud, L’Inde, la Chine… et même la Russie, où la fermentation tient une place immense dans l’alimentation. (Et pas seulement les cornichons : saviez-vous que déjà durant la période soviétique, une jarre de kombucha trônait dans la cuisine de toutes les familles en Russie ? )
Anne-Sophie Moreau, qui est par ailleurs rédactrice en chef à Philosophie Magazine, se pose cette question après avoir acheté une bouteille de kombucha alors qu’elle attendait un vol à l’aéroport de Berlin, un peu patraque à cause d’une soirée alcoolisée. Sur la bouteille figurait la mention « boisson vivante » et ça l’a interpelée qu’une boisson dite «vivante» soit vendue dans un aéroport, endroit des plus aseptisés, dit-elle. Mais si la boisson était populaire en Russie depuis plus d’un siècle, est-il si étonnant d’en trouver à l’aéroport de Berlin ? En réalité les Allemands ont connu le kombucha bien avant nous. Après la première guerre mondiale, le kombucha était bel et bien préparé dans toute l’Europe centrale et la mère s’échangeait de main en main. On en trouve des descriptions et recettes dans les journaux féminins de l’époque, de l’Allemagne à la Tchécoslovaquie. La boisson était sensée soigner des tas de troubles et maladies, dont le diabète. Le kombucha a même été étudié par plusieurs scientifiques prussiens avant la première Guerre Mondiale. Il y a eu un déclin de la boisson après 1937 et elle est réapparue dans les années 50/60.

Ceci dit, j’aurais bien aimé savoir si la boisson a eu un effet positif sur la gueule de bois d’Anne-Sophie, mais à aucun moment elle ne le dit.
C’est en effet une question intéressante !
Non pas la gueule de bois, mais qu’est-ce que cela dit de notre société actuelle, cet « engouement » pour le fermenté et pour les microbes ?
La thèse de l’autrice semble être que l’engouement actuel pour les microbes (sous toutes leurs formes : fermentation, compost, humusation des corps après le décès, intérêt pour le microbiote intestinal et cutané, urbanisme qui laisse une grande part au végétal, etc.) dénote un retour en arrière civilisationnel, comme si nous avions une peur panique de l’avenir, une peur du déclin, qui comme une prophétie auto-réalisatrice amènera de toutes façons un déclin. Notre société est présentée comme pré-apocalyptique et c’est comme si nous voulions nous punir d’avoir trop exploité la Nature, que nous nous soumettons maintenant à elle. Par peur du déclin, nous nous intéressons à la dégénérescence.
Ce livre a produit chez moi un malaise.
Ce malaise vient d’abord du fait que je ne me reconnais pas du tout dans ce qui est décrit comme étant le monde de la fermentation. Et je ne reconnais pas non plus les personnes qui la pratiquent, toutes les personnes que j’ai formées à mes ateliers, les producteurs de légumes et boissons fermentées, les amateurs. Je n’en connais pas un dont les motivations sont celles décrites dans le livre. Leur motivation est la santé, et le goût, principalement. Et aussi le « faire soi-même » qui nous permet de retrouver une autonomie alimentaire loin des produits industriels tout en nous reliant à une longue chaîne de procédés appris depuis des millénaires.
Les exemples choisis pour parler des néo-fermenteurs sont caricaturaux. L’autrice évoque des personnages atypiques et souvent ridicules, des genres de hippies complètement déconnectés de la vie réelle qui mangent des graines, cuisinent des feuilles sauvages qui rendent malades, ou font du vin nature qui a le goût de moisi (sic). D’autres sont des féministes invoquant la lune ou font du yaourt avec leurs sécrétions vaginales (re-sic) ou des queer qui rejettent toute reproduction sexuée. Certes de tels personnages en marge existent. Aux États-Unis d’Amérique par exemple, vaste pays, vous en trouverez dans tous les domaines, mais ce n’est absolument pas la majorité ! Les fermenteurs ne sont déjà pas nombreux, mais ceux présentés dans le livre ne représentent qu’eux-mêmes. Ceux que je connais sont au contraire ancrés dans la société. Certains ont créé des entreprises, d’autres sont des professionnels de la cuisine, des agriculteurs ou des professionnels de santé. Je n’ai jamais rencontré de personnages comme les doux-dingues décrits dans ce livre, qui donnent une idée complètement fausse et même risible des personnes réelles qui font des fermentations.
La fermentation pratiquée aujourd’hui n’est pas non plus une religion, ni une secte, comme l’auteure semble le suggérer. On ne suit pas de dogmes on ne demande à personne de croire en une vérité supérieure, on repose sur la science, et on applique des procédés éprouvés par l’expérience.
En fait je crois qu’on devrait cesser de parler de revival, ou même de regain d’intérêt.
En Occident ou ailleurs, la fermentation n’a jamais cessé d’exister, comme le sous-entend l’autrice. Dans certains pays, comme le Japon, la Chine, l’Inde, la Corée, les pays de l’est de l’Europe, le Moyen-Orient et les pays d’Afrique, elle continue depuis toujours, ça ne s’est jamais arrêté ! Et même en France elle n’a jamais disparu : on a toujours fait du fromage, du pain, du vin et du saucisson ! Et de la choucroute en Alsace, et des olives en Provence. On estime que dans la première moitié du XX° siècle, 80 % de l’alimentation des Français était fermentée.
Avant le milieu du XIX° siècle, on ne connaissait pas l’existence des micro-organismes, on ne pouvait donc pas s’intéresser à eux ! Mais l’intérêt pour les micro-organismes a débuté dès que la science a commencé à en parler et depuis, cet intérêt a toujours été présent !

Ci-dessus un article de vulgarisation sur les bactéries bénéfiques (Freundliche Bakterien) qui date de… 1932 ! La fermentation intéressait beaucoup de monde et était très courante, partout dans le monde. Aujourd’hui on a accès à des connaissances sur ce monde microscopique et surtout la science a beaucoup progressé depuis Pasteur. Anne-Sophie Moreau nous raconte d’ailleurs avec raison l’histoire de l’hygiène à travers les âges, comment, à la découverte des microbes par Pasteur, on a nettoyé, désinfecté, récuré nos corps et nos maisons dans l’espoir d’éradiquer la moindre trace de moisissure et de ces minuscules êtres vivants ; alors qu’aujourd’hui la science a démontré qu’il ne faut surtout pas les éradiquer mais se les approprier pour vivre en bonne santé. Mais si la science ne le disait pas, personne n’aurait d’intérêt pour ce fait !
Or, l’intérêt de la médecine pour utiliser les microbes en notre faveur ne date pas d’aujourd’hui. Nous utilisons la pénicilline depuis un siècle, et la pénicilline… c’est une moisissure, cousine de celle qui peuple nos fromages ! C’est curieux que l’autrice ne le mentionne pas, alors qu’elle parle de Metchnikof, le pionnier des recherches actuelles sur les probiotiques.
Nous sommes en train de vivre une troisième révolution médicale. La première révolution, c’était Pasteur, l’asepsie, les vaccins. La seconde révolution, c’est Fleming et la pénicilline. Et enfin la troisième révolution, c’est cette inimaginable volte-face : la découverte des microbiotes et de l’importance qu’ils ont dans notre santé physique et mentale. Le micro-vivant n’est plus l’ennemi. C’est donc d’abord grâce à la science si tout un chacun s’intéresse aux microbes.
Autre élément qui me met mal à l’aise
C’est le vocabulaire employé. Le retour en-arrière civilisationnel est évoqué dans tout le livre par l’emploi d’un vocabulaire que je ressens comme péjoratif.
L’autrice emploie ces mots comme s’ils étaient synonymes : fermenté, moisi, pourri, dégénérescence. Ces mots sont utilisés comme s’ils étaient interchangeables. Je ne peux pas imaginer que l’emploi de ce registre lexical ne soit pas volontaire de la part d’une diplômée en philosophie.
Anne-Sophie Moreau définit la fermentation d’une manière floue et inexacte à la page 11 : « Il n’est pas facile de définir la fermentation, car c’est la culture qui trace la frontière étroite séparant le fermenté du pourri. La fermentation est la vie sans air, disait Pasteur : on pourrait la voir comme une forme de dégénérescence maîtrisée par le fait qu’elle se déroule dans un espace clos».
Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, disait Albert Camus : le mot « dégénérescence » me chiffonne. Ce mot est employé tout au long du livre pour parler à la fois de la fermentation et de la civilisation. Non, la fermentation n’est pas une dégénérescence, même maîtrisée. Elle est l’opposé d’une dégénérescence et les amateurs de fermentation ne sont pas fascinés par la dégénérescence, comprenez la décroissance : «Au fond, nous savons qu’il n’y a pas de décroissance possible : le contraire de la croissance, c’est la dégénérescence», est-il annoncé page 13.
Qu’est-ce que la dégénérescence ?
Le mot a deux sens. Voici ce que dit le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales :
A- Fait de dégénérer, de perdre les qualités de sa race ; état qui en résulte.
B- Altération d’un tissu ou d’un organe dont la structure ou le fonctionnement devient pathologique.
Les synonymes sont : dégradation, décadence, abaissement, déchéance, déclin, tare…
Cela n’a rien à voir avec la fermentation au cours de laquelle les aliments, non seulement ne dégénèrent pas, mais gagnent de nouvelles propriétés, de nouvelles qualités en termes de goût, de santé, de nutriments, etc.
Le mot dégénérescence est politique et fait appel à des notions racistes, c’est le premier sens du mot. C’est d’autant plus particulier que l’autrice établit à la page 148 un parallèle avec l’idéologie nazie à propos de l’architecture, sans assumer, tout en se défendant bien d’établir ce parallèle. Elle dit les choses sans les dire tout en les disant quand même.
Je ne puis décrire ma sidération devant l’étrange rapprochement dans ce passage où elle décrit l’urbanisme contemporain cherchant à faire entrer la nature dans les villes par la végétalisation des espaces. Elle évoque à ce sujet certains théoriciens nazis fascinés par l’apocalypse, ou simplement jusqu’auboutistes. Ils affirmaient, dit-elle, que les bombardements détruisant les villes allemandes servaient après tout à éliminer toutes traces juives pour permettre ensuite la reconstructions de cités-jardins purement allemandes. L’autrice prétend que les nazis n’aimaient pas les villes. Ce qui est historiquement complètement faux, Albert Speer étant un architecte réputé et spécialiste d’urbanisme. C’est la raison pour laquelle Hitler s’était rapproché de lui, pour réaliser le Gross Berlin, et la grande oeuvre prévue d’après guerre : la reconstruction de Linz. Hitler a été fasciné par Rome et ses grands monuments lors de sa visite en 1938.
Les jeunes écologistes d’aujourd’hui, n’aiment pas les villes et souhaitent leur «pourrissement». «De ce point de vue, souligne l’autrice, leur imaginaire partage un point commun avec celui du IIIe Reich ». Bigre ! On serait donc les «Monsieur Jourdain du nazisme». En fermentant nos bocaux de carottes, on aurait un imaginaire proche de celui du III° Reich sans s’en rendre compte ! Je n’y aurait pas pensé toute seule.
Le parallèle avec les nazis ne découle-t-il pas d’un sophisme indigne ? Hitler était végétarien, soupçonne-t-on les végétariens d’avoir un imaginaire proche de celui des nazis ? Moi-même je n’ai pas l’idée d’imaginer Anne-Sophie Moreau avoir des sympathies pour le nazisme malgré cet emploi continuel du mot dégénérescence. En employant ce mot avait-elle songé que les nazis qualifiaient l’art moderne d’«art dégénéré». C’est l’expression officielle utilisée par ce régime à partir de 1937 (en allemand Entartete Kunst, qui signifie littéralement art dégénéré, ou « indigne de la race»). La fermentation, l’urbanisme contemporains, le compostage, seraient-ils des arts dégénérés ? Bref, ce débat frisant le point Godwin n’a pas lieu d’être.
De même le jeu de mot entre « conservation et « conservatisme » est douteux. Les fermenteurs auraient un désir de vie sous cloche (la fameuse « vie sans air » de Pasteur), ce qui irait de pair avec un certain conservatisme d’esprit. Ils ne veulent plus aller de l’avant, et préfèrent rester dans leur cuisine pour faire des conserves, plutôt qu’éradiquer la faim dans le monde ou avoir un autre grand projet. « Les Occidentaux semblent avoir cessé de croire en leur vieil idéal d’une société en mouvement. De là à opter pour une mise en bocal comme contre-modèle aux excès de la mondialisation ? (…) Autrefois, on semait la révolte ; aujourd’hui, on sauvegarde ce que l’on a ». (p. 83).
Je pense au contraire que la fermentation, qui s’inscrit dans une démarche pour mieux se nourrir, et pour se démarquer de l’industrie agro-alimentaire qui nous rend malades en produisant des pseudo-aliments, est une activité rebelle, anti-système et à contre-courant.
Mais revenons au vocabulaire.
Définir la fermentation n’est pas si difficile. On peut aller voir la définition sur le site du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris : « La fermentation est la modification des aliments par des microbes, champignons ou bactéries. Ces procédés ont été développés empiriquement dans diverses civilisations avant même que les microbes ne soient connus : ceux-ci provenaient de l’environnement et étaient régulés par les conditions de milieu ». Cette définition me plait bien car elle fait intervenir une chose capitale : la civilisation.
J’ai écrit un livre en 2019, que j’ai intitulé « Pourri », je ne sais pas si l’autrice l’a lu car elle n’en fait pas mention. J’y ai clairement défini ce que j’entendais par « pourri » en opposition à fermenté. Pourri est un mot péjoratif aussi, comme moisi. Fermenté l’est d’ailleurs pour la majorité de nos contemporains, mais il convient de faire une distinction entre ces notions. J’ai consacré tout un chapitre de mon livre à la sémantique de la fermentation : «Mais alors, le fermenté, (…) ne serait-il pas du pourri « acceptable », du pourri qui ne dit pas son nom ? Le pourri est barbare, c’est celui que mangent les autres, les étrangers, ou bien les anciens d’un autre temps, ceux qui ont des coutumes étranges. Le fermenté par contre est élaboré avec art et science, il nous est ordinaire, connu : c’est celui qu’on produit chez nous. Il est donc fréquentable et civilisé. Mais n’oublions pas qu’on parle des mêmes produits ! (…) Les plus grands fleurons des gastronomies mondiales sont constitués d’aliments fermentés — donc pourris— selon le côté de la frontière sémantique où l’on se place ». Autrement dit, quand on parle de pourri, on signifie que l’aliment est du côté du barbare.
Pour préciser, la fermentation aboutit à la conservation de son substrat ; la pourriture aboutit au contraire à sa destruction finale. On pourrait dire que l’un est du côté de la vie, l’autre du côté de la mort. La dégénérescence est définitivement du côté du pourri. Et qu’est-ce qui fait la différence : la culture !
L’élaboration d’un aliment fermenté, quel qu’il soit, est hautement culturelle.
Il faut un bon degré de civilisation pour élaborer ces aliments particuliers que sont le vin, la sauce soja, le kimchi, le pain, la choucroute, le chocolat, le parmesan, et le nuoc mam ! En effet, si on laisse faire la nature sans intervenir, les anchois de Collioure ou le lait cru de Roquefort évolueront d’une manière pas du tout satisfaisante, et le résultat ne sera même pas comestible ! L’aliment fermenté est tiré d’un processus naturel mais il est culturel dans sa préparation, sa consommation et sa symbolique, et je dirais même que c’est la culture qui a le dernier mot jusqu’au discours qu’on a à postériori sur l’aliment : les dégustations œnologiques par exemple, ont apporté tout un vocabulaire, un langage consacré au résultat de cette fermentation du jus de raisin. L’aliment fermenté nous emmène dans une dimension verticale, il transcende le simple fait de se nourrir, comme je le disais aussi en 2009 dans un article de mon ancien blog. Pour paraphraser Kandinsky, il apporte du spirituel non pas dans l’Art mais dans la Cuisine.
C’est le contraire de ce qu’écrit Anne-Sophie Moreau dans son livre. Elle parait penser (p. 106) que la fermentation est une quête d’horizontalité. On ne veut plus rien qui dépasse, on rejette les arborescences. Partout, dans la société, dans les rapports humains, on recherche l’horizontalité, on pense une nature qui se multiplie au lieu de croître, une nature idéale sans rapports de pouvoirs ou de domination, on veut vivre en symbiose, sans compétition entre les êtres vivants, on veut l’égalité, le management est horizontal, etc… Les micro-organismes, croit-on, vivent en parfaite égalité, se partageant les ressources. Et les champignons déploient leur mycélium horizontalement aussi. Faire des bocaux de fermentations qui sont ronds et « parfaits » (comme leur nom de marque l’indique) serait comme rêver d’une vie en vase clos, comme la recherche de la perfection enfermée sous cloche, un entre-soi communautaire qui aspire à se préserver des horreurs du monde.
En réalité, tous les fermenteurs observent la « guerre des étoiles » qui se produit dans leurs fermentations, depuis le bouillonnement de la vinification jusqu’à celui des légumes lactofermentés qui débordent et laissent apparaître le dépôt trouble des cadavres après la bataille. Oui il y a des guerres et des compétitions aussi chez les microbes. Personne n’est donc si parfait que cela.
L’intérêt pour la fermentation n’est pas un aveu de l’impuissance humaine face à une Nature qui aura toujours le dernier mot, car la fermentation est essentiellement culturelle. Elle a besoin de l’homme, sans lui, pas de fermentation mais seulement des pourritures et des moisissures qui sont le cycle naturel de la vie et de la mort. La fermentation est destinée au contraire à « contrarier » la mort, elle prolonge la vie, à la fois celle des aliments qu’elle améliore, et aussi la nôtre lorsque nous avons le plaisir de les déguster.
Et je terminerai avec un grand philosophe cité par l’autrice p. 94 : « Il faut cultiver son jardin, concluait le Candide de Voltaire après moult pérégrinations dans des contrées hostiles. Il faut fermenter dans son coin, dirait le Candide contemporain. » Quel contre-sens ! Dans la pensée de Voltaire, le « jardin » c’est le monde. Il ne s’agit pas de se retirer dans sa bulle, mais au contraire d’œuvrer pour rendre le monde meilleur. Voltaire était un écologiste avant la lettre.
Le Candide fermenteur pourrait répondre : cultivons nos ferments et propageons-les dans le vaste monde !
Fermentations,
Kéfir, compost et bactéries : pourquoi le moisi nous fascine »
Anne-Sophie Moreau
Editions du Seuil
272 pages, 21 euros.
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Un grand merci !
Merci
Merci pour ce compte rendu critique ! Cela m’évitera, et à d’autres, d’avoir à acheter et lire ce livre qui, a priori, d’après le titre, pourrait m’intéresser. Mais déjà, en écoutant l’auteur, qui a bénéficier d’une surface médiatique assez énorme il me semble, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il y avait beaucoup d’opportunisme et de superficialité dans sa démarche. J’étais loin d’imaginer pourtant un contenu aussi désastreux. Cela n’a pas dû être facile pour vous d’aller jusqu’au bout et de subir ces accusations à peine déguisées.
Encore merci et la fermentation continue !
Merci pour cette critique éclairée. Si l’idée de cette philosophe était intéressante, son analyse est bien trop superficielle et fallacieuse.
Merci Marie-Claire…J’avais, le jour même de la parution d’un article dans Le Monde sur ce livre, « répondu » assez vertement via les « commentaires », ne me reconnaissant absolument pas, comme vous le dites, dans la « typologie » (assez indigne par ailleurs d’une philiosophe) qu’Anne-Sophie Moreau établit dans son essai…..
Comme vous, j’ai trouvé qu’elle entretenait la confusion « fermenté, pourri, dégénerescence etc… », à dessein, et ce pour servir un « biais cognitif » et une démonstration qu’elle avait il semble, décidé dès le début, et qui tombe totalement à côté de la plaque…
Au moment où on retrouve du fromage de kéfir dans les tombes des momies du Tarim, vieux d’au moins 3500 ans, oser nous parler de « revival »? Il faut le faire…..!! Merci de cette réponse si exhaustive, documentée et sincère…Si j’en juge par les « commentaires » que j’avais vu dans le « Monde », rien que le « pitch » de départ de l’intérêt pour le kéfir né à la suite d’une gueule de bois avait suffi à grandement décrédibiliser son « enquête »…Gageons que son livre n’accrochera qu’un minorité de lecteurs, que j’avais décrit comme « une poignée de pseudo-intellectuels parisiens qui ne s’intéressent au kéfir que lorsque leur restaurant préféré s’y met »…
Les commentateurs opportunistes aboient, la caravane des fermenteurs sincères passe…..
Merci Marie-Claire de remettre les pendules à l’heure!!!
Réponse fort bien argumentée ne donnant pas du tout envie d’investir et lire ce « livre ».
Vous parlez de fermentations pour l’alimentation humaine. Sans oublier les millions de tonnes d’aliments fermentés produits annuellement pour l’alimentation animale (ensilages de ray-grass, maïs…)!
Mais oui ! L’ensilage tellement décrié, c’est la choucroute des vaches !
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Merci pour cette critique éclairée, la tentation aurait été forte, vu la belle couverture et le titre alléchant, de l’acheter!
Bonjour Marie-Claire,
Vous semblez « bouillir » autant qu’un bocal de légumes lactofermentés en pleine réussite 😉 En tout cas le temps que vous avez dû passer à écrire cet article démontre de vos convictions (qui sont aussi les miennes) mais j’espère que vous vous êtes faite prêter ce livre, ou mieux, que vous l’avez volé 🙂
Cela fait quelques semaines que je vois tourner des articles faisant l’allusion fermenté=moisi… => pourri dans les fils d’actualités (celui de Google par exemple) et qui font le buzz. Buzzsiness 😉
Cependant je crois que la majorité des êtres humains savent très bien qu’une grosse partie de ce qu’ils mangent est conservée, et donc mangeable, grâce à une fermentation maîtrisée, dosée, étudiée depuis des millénaires par l’humanité sans AUCUNE interruption.
Alors malheureusement, la désinformation et le buzz fonctionnent aussi très bien pour gagner de l’argent sans trop d’efforts, mais cela ne suffira jamais à destituer la vérité. Même ChatGPT ou autres IAs qui se font tellement concurrence en ce moment déduirait facilement que ce livre est uniquement destiné à être vendu sans aucune conviction de son autrice, qui mange sûrement elle-même bcp d’aliments fermentés.
Toujours un plaisir de lire vos articles.
Je peux dire que je me suis régalée à la lecture de ton article analyse.
La fermentation est tellement passionnante et vivante ! Merci de replacer les curseurs et de nuancer certains propos très binaires et disons le, très subjectifs et de l’ordre du ressenti personnel (oui, je parle des propos de Madame Moreau, dans son livre).
Nous n’avons pas tous les mêmes visions, et heureusement.
Et moi je suis heureuse de cultiver la vie dans mes bocaux et de répandre la joie autour de moi lors de la dégustation.
Vive la fermentation !
Et vive les couleurs, les sons, les goûts qu’elle infuse et diffuse autour d’elle ! #ouvrir #nourrir #donner
Merci, Marie-Claire.
Bon, ça me rappelle qu’il faut que je vienne à un de tes ateliers 😉
Merci Valérie, avec plaisir ! (On fera un échange de levains). Oui nous n’avons pas tous les mêmes visions et tant qu’on peut débattre, c’est formidable !
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Bonjour
Et bien merci pour votre analyse de lecture de ce bouquin dont le titre m’intriguait …A vrai dire … vous m’évitez de l’acheter mais vous donnez également des éléments d’analyse pour bien d’autres lectures. Je n e me reconnais pas non plus dans le public que décrit cette philosophe et tout mon entourage sans être décalé, réac, conservateur mais toutefois …. à l’extrême opposé de la grille politique fasciste qu’elle décrit ….consomme ou élabore des produits fermentés justement pour retrouver une alimentation vivante, en soutenir les producteurs et les transformateurs, favoriser un bon état de santé et ….renouer avec des traditions qui quelque part nous relient à toute l’ humanité! .. et votre conclusion est magnifique .
Je me demandais pourquoi un tel livre au final …..j’ai comme l’impression qu’il se situe bien dans l’air du temps .. de ceux qui nous imposent une vision du monde binaire comme aujourd’hui dans cette soit disant « grande démocratie » outre atlantique (mais ça arrive chez nous très vite) ceux qui purgent de la vie publique justement tout ce qui leur semble « dégénéré »… je suis également consternée de l’usage abusif et répété de ce mot ….partout.
Dans un petit bouquin que j’ai lu il y a peu de Salomé Saqué : « résister » , elle disait que avant , l’interprétation des faits était problématique mais ça pouvait nourrir le débat . Aujourd’hui , ce sont les faits eux mêmes qui deviennent le problème ..; hélas quand on ne voit pas la même chose … comment débattre….
Je vous remercie Madame pour la richesse de vos articles que je reçois depuis longtemps , vos recherches que vos bouquins rendent incontournables pour qui veut s’intéresser à la fermentation et à son histoire .
Amicalement
FB
Merci Marie-Claire, plus qu’une note de lecture, ce commentaire très précis et documenté permet d’éclaircir et préciser les principes de la fermentation … et ses adeptes ! J’avoue ne pas avoir envie de lire le livre, je ne crois pas que c’était l’objectif visé.
A suivre pour d’autres articles, toujours si intéressants. Loin des fourneaux, celui-ci nous fait réfléchir.
A bientôt
Catherine
Voilà qui est bien envoyé et qui ne donne pas du tout envie de lire ledit livre. On se doute qu’il y a un malaise dès que vous dites qu’elle a participé à vos ateliers… on attend la suite et on n’est pas déçus. Ça fait du bien des prises de parole assumées dans ce monde… aseptisé.
Vous vous êtes déchaînée… certainement avec raison .
Merci pour ce commentaire si détaillé et percutant.
Merci Marie-Claire pour cet éclairage et mise au point que nous sommes nombreux à partager! Cet ouvrage par sa sémantique choisie et ses dérivations déforcent tout le travail que nous menons au quotidien pour rendre la fermentation attrayante et accessible au plus grand nombre!