Un récent article scientifique paru dans la revue américaine Environnemental Science and Technology met l’accent sur les dangers de l’utilisation massive du Triclosan et du Triclocarban, vous savez, cette petite bouteille d’antiseptique que certaines personnes dégainent à tour de bras pour se laver les mains sans eau, que ce soit  au bureau, au restaurant, dans le métro, dans la rue parfois… 

 

 

Quel rapport avec les aliments fermentés ? C’est que ces substances détruisent les microbes qui font fermenter les aliments. Les personnes qui vivent dans un environnement trop aseptisé, qui utilisent des antimicrobiens pour nettoyer leur corps et les surfaces de leur cuisine ne réussissent pas à faire du levain pour le pain, ni des conserves lacto-fermentées. Elles se demandent pourquoi. La réponse est là : soyez propres mais ne vivez pas dans des chambres stériles !

L’article de Rolf U. Halden, directeur du Centre pour la Sécurité de l’Environnement, professeur à l’École d’Ingénierie Durable de l’Université de l’Arizona, montre la nécessité et l’urgence de réguler l’usage de ces antiseptiques, substances antimicrobiennes polychlorées. Bien que leur utilité dans les milieux médicaux ne soit pas contestée, celle pour les particuliers s’avère nulle. Leur utilisation à grands volumes dans le public a provoqué une contamination généralisée de l’environnement, de la faune et des populations humaines. Cet article de fond appelle à restreindre l’utilisation des antimicrobiens synthétiques au profit de solutions plus écologiques et plus sûres pour la prochaine génération. Rappelons que les USA sont un des pays les plus hygiénistes de la planète. Le fait que des scientifiques de ce pays soient maintenant beaucoup plus réservés sur cet hygiénisme à outrance est un signe que le vent commence à tourner dans le bon sens.

Ces produits étaient auparavant réservé au milieu médical, et voilà qu’aujourd’hui on en trouve dans les savons, les gels douches, les shampoings, les dentifrices, les lingettes nettoyantes, mais également dans les fibres des vêtements, les jouets, les sacs poubelle, les peintures des murs, les tissus d’ameublement, les détergents pour laver le linge et entretenir les sols, les meubles, etc… Et jamais l’étiquetage ne dit que ce sont des produits dangereux, aussi dangereux que l’hexachlorophène, un neurotoxique, qui avait été interdit après les années 70. (Vous ne vous souvenez peut-être pas des publicités pour les dentifrices aux rayures rouges à l’hexachlorophène, c’était dans les années soixante, c’était le progrès).

Ces antiseptiques cumulent tous les désavantages : en premier, ils sont toxiques pour les humains. Il a été montré que lors d’une douche de 15 minutes avec un savon contenant 0,6 % de Triclocarban, la concentration de ce produit dans le sang était suffisante pour inhiber une enzyme jouant un rôle pour nous préserver des maladies cardiovasculaires, je vous passe les noms compliqués et les détails techniques. Et cela malgré le fait qu’on se rince sous la douche ! Enfin bref, imaginez si vous utilisez à la fois le gel douche, le shampoing, le dentifrice, le lave-main et si votre maison est nettoyée avec les mêmes molécules, la concentration que ça peut avoir dans votre sang, et les ravages sur votre microbiote

On a répertorié également beaucoup d’effets secondaires, qui vont des irritations oculaires et cutanées, jusqu’aux allergies plus ou moins graves, en passant par des inhibitions de fonctions musculaires, et aussi des perturbations endocriniennes… C’est bizarre, tout ça ferait frémir si on le lisait sur une notice de médicament et ce n’est même pas mentionné s’il s’agit d’un liquide pour se laver les mains ou le corps !

De plus, la prolifération de ces molécules polychlorées diminue la diversité des microbes, oui, je vous le rappelle : c’est dangereux de diminuer la diversité des microbes. Le monde des micro-organismes repose sur un équilibre : la plupart des microbes sont soit neutres, soit bienfaisants pour notre santé, ils font partie de notre système immunitaire et rendent notre nourriture plus nutritive. Il y en a très peu de pathogènes. Or, ces antiseptiques tuent tous les microbes, sans distinction. Cela induit des résistances, et ceux qui résistent, évidemment, ce sont les mauvais, vous savez, les 0,1 % qui restent alors que le produit « magique » en a tué 99,9 %. Et ceux-là, aucun antibiotique connu n’en viendra à bout. Ce sont eux qui vont gagner, pas nous !

Les polychlorés, depuis qu’ils sont massivement utilisés, se retrouvent dans les eaux usées, et donc dans l’environnement. Aux USA ils sont dans le top 10 des produits polluants retrouvés dans l’eau des rivières et dans les sols.

Attendez, ce n’est pas fini.

L’autre danger de laisser ces molécules se balader dans la nature, c’est que, quand elles arrivent dans l’environnement, elles y restent sans se détruire. Les organismes, insectes, poissons, animaux terrestres, plantes, y sont exposés non pas durant une douche de 15 minutes, mais en permanence! On a retrouvé ces substances dans des algues, des poissons, des dauphins, et même des vers de terre…

Certes on peut argumenter que ces produits ont quand même amélioré la santé des humains, ont permis d’éradiquer ou au moins d’endiguer des maladies, ils sont  donc quand même utiles, et que leurs inconvénients sont mineurs à côté de l’amélioratin de la santé humaine.

Même pas. Les études montrent que ceux qui les utilisent ne sont pas moins malades que les autres. En 2005, un groupe d’experts convoqué par la FDA (Food and Drug Administration) avait conclu que l’utilisation d’antiseptiques n’apportait aucun bénéfice mesurable pour les consommateurs.

Pourquoi en est-on arrivé là ?

Il faut savoir que le marché des antiseptiques est un marché énorme qui brasse des millions et des millions de dollars. À coup de publicités jouant sur l’inquiétude, l’angoisse, la peur, et aussi le sentiment de cupabilité (vous êtes une mauvaise mère si vous laissez votre enfant jouer sur un sol qui n’a pas été décrassé avec l’antibactérien machintruc), ces produits ont été montrés, depuis deux décennies aux USA, et une quinzaine d’années chez nous, comme absolument indispensables dans la vie de tous les jours. Ce qui est complètement faux.

Les scientifiques américains auteurs de l’étude réclament l’encadrement et la régulation de ces substances qui devraient être uniquement réservés au milieu médical. Ils demandent que les produits d’hygiène corporelle au Triclosan soient vendus uniquement dans les pharmacies, et les dentifrices en contenant vendus uniquement sur ordonnance pour des personnes ayant des maladies bucco-dentaires avérées.

Conclusion ? Regardez bien les étiquettes et si vous voyez le mot « antimicrobien » ou « antibactérien », et si dans la composition figure le mot « triclosan », laissez le produit sur l’étagère du magasin, vous ne vous en porterez que mieux. Je ne rigole plus. Je viens de prendre une loupe pour lire les ingrédients sur mon tube de dentifrice et de me rendre compte que le Triclosan est dans la liste. Je vais changer de marque. Mais vais-je en trouver une qui n’en a pas ?

Si vous lisez l’anglais, vous pourrez voir toutes les références et lire l’article en intégralité en cliquant ICI.