Le vin est déjà inscrit comme patrimoine immatériel de l’humanité à l’Unesco, mais il n’y avait encore aucun texte de loi en France protégeant le vin, sa culture et sa civilisation.

vignoble alsacien

C’est chose faite : dans la nuit du 11 au 12 avril dernier, les sénateurs ont voté, sous les applaudissements, l’amendement à la future loi sur l’agriculture, proposé par Roland Courteau, sénateur de l’Aude. En voici le texte:

« Art. L. 665-6. – Le vin, produit de la vigne et les terroirs viticoles font partie du  patrimoine culturel, gastronomique et paysager protégé de la France. »

Le mot important là dedans, que j’ai souligné, c’est « protégé ». Ce mot, les sénateurs l’ont rajouté au premier projet où il ne figurait pas.

Roland Courteau affirme : « Le vin exprime un patrimoine vivant, il fait partie du patrimoine culturel, littéraire mais également gastronomique, paysager, architectural, matériel, économique et social, aussi bien sûr avec des centaines de milliers d’emplois. Grâce à cet amendement, nous engageons un réel processus pour la protection du vin et sa réhabilitation face aux attaques dont il est l’objet et aux amalgames avec les autres boissons alcooliques ».

Le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, a aussi exprimé que « le patrimoine gastronomique comprend bien d’autres choses, comme le fromage ». — « Le camembert et le calvados », s’est  alors exclamée Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne. (Elle aurait dû dire le cidre, qui est aussi fermenté et, à mon avis, plus répandu et représentatif des provinces de l’Ouest que le Calvados qui est un alcool distillé à partir de lui).
—« Et la bière », a renchéri André Reichardt du Bas-Rhin, évoquant « la création de dizaines de brasseries chaque année.(…) en Alsace, dans le Nord-Pas-de-Calais aussi, la bière fait partie du patrimoine » et, « consommée avec modération (elle) peut avoir des effets bénéfiques pour la santé… »

Mais l’amendement sur la bière proposé par ce même sénateur a été rejeté… Pour l’instant, qui sait ? D’ailleurs il est significatif que cet amendement sur la bière n’ai pas eu la même postérité que celui du vin. Cela montre bien le statut « à part » du vin parmi toutes les boissons. Il a même quasiment un statut religieux et ce n’est pas un hasard si c’est la boisson sacrée du catholicisme. C’est d’ailleurs en grande partie grâce à cela qu’il s’est si vite répandu dans toute la partie catholique de l’Europe, par les vignobles que faisaient planter les évêques autour de leurs résidences… L’Europe était en effet avant notre ère un pays à bière, pensez à la cervoise des Celtes. Cette boisson est aujourd’hui consommée plutôt dans les régions protestantes où elle a persisté de manière traditionnelle, mais quand même considérée par les élites comme une boisson de second ordre par rapport au vin. Vous voyez, on revient toujours à la place très particulière des aliments et boissons fermentées dans notre civilisation. Ils ont un autre sens, une autre portée que leur simple aspect gustatif ou leur composition nutritionnelle. On ne fait pas tant de bruit pour le jus d’orange ou l’eau gazeuse ! (Et le coca-cola me direz-vous ? … Bonne question. Lisez mon livre, vous apprendrez des choses étonnantes…)

C’est avec les grecs de l’Antiquité que le vin est arrivé sur le sol de l’hexagone, et il avait déjà une longue histoire derrière lui (vous la lirez dans le livre, et vous lirez aussi comment la civilisation du vin a  marqué l’Europe : né quelque part entre l’Anatolie et l’Iran actuel, enfin c’est ce qu’on pense dans l’état actuel des connaissances car c’est là qu’on en a retrouvé les plus anciens vestiges, propagé par les Phéniciens en Égypte, en Grèce et puis plus loin encore. Ce n’est pas seulement le vin qui s’est propagé. Les phéniciens ont « exporté » la plante vigne Vitis vinifera sativa, sa méthode de culture, le matériel et aussi les ingénieurs agronomes pour en expliquer l’usage, mais dans le même temps ils ont diffusé aussi les ustensiles pour le transporter, la façon et les rituels pour le boire, car on ne boit pas le vin comme de l’eau, la vaisselle spéciale pour son usage, la religion et même leur alphabet parce qu’il y avait aussi la littérature qui lui était consacrée ! On voit que la « culture » de la vigne s’entend dans tous les sens du mot culture.

On pourrait dire la même chose des fromages, de la bière, de la choucroute, des jambons et saucissons : leur fabrication, depuis l’élevage jusqu’à l’élaboration finale du produit et sa commercialisation, tout cela a marqué le paysage physique et culturel de bien des régions ! C’est vrai pour tous les produits fermentés, qui représentent dans chaque pays le summum des produits agricoles… La fermentation c’est notre civilisation, notre humanité.

Cet amendement qui tombe aujourd’hui est le signe qu’on en prend conscience. Que le vent tourne, que le règne de l’agro-alimentaire ne va pas durer sans contestations, et ça me plaît !

* Mon livre Ni cru ni cuit  sera le 24 avril dans toutes les bonnes librairies de France et d’Internet.